• L'o-miyage, ou cadeau de voyage, dans le système de don contre-don au Japon

    Extrait de mon mémoire de Master Etudes Japonaises "Le tourisme japonais au Mont-Saint-Michel : étude croisée des représentations respectives des touristes japonais et des acteurs locaux".

    *****

    Une caractéristique des touristes japonais est qu'ils achètent beaucoup de souvenirs. Il est en effet coutume de ramener des souvenirs à sa famille, mais aussi à tous ses collègues de bureau, comme une sorte de dédommagement de la gêne occasionnée par son absence au travail. Ces cadeaux de voyage, appelés o-miyage お土産 s'inscrivent dans un système de don contre-don plus large, mais aussi dans une politique économique de consommation.

    La vie japonaise est ponctuée de cadeaux reçus et offerts. En 1973, on a estimé le budget consacré aux cadeaux à 4000¥ par mois et par foyer. Plus de 60% des petits objets de décoration que l'on trouve dans les maisons japonaises seraient des cadeaux de personnes extérieures au foyer.

    On peut classer ces cadeaux en trois catégories :

      • cadeaux pour des événements occasionnés par le cours de la vie humaine : félicitations de naissance (出産祝い shussan-iwai) , félicitations de mariage (結婚祝い kekkon-iwai), cadeau funéraire (香典 kôden), souvenirs de voyage (o-miyage), etc ;

      • cadeaux périodiques ponctuant l'année à des moments précis : cadeau de la mi-année (中元chûgen), cadeau de fin d'année (歳暮 seibo), étrennes (お年玉 o-toshidama), cadeau de sympathie pour les grosses chaleurs d'été (暑中見舞い shochû mimai), etc ;

      • Les cadeaux de retour (réponse à un cadeau dans le cadre du don contre-don ; il s'agit de rendre, sous la forme d'un objet, un pourcentage fixe de la somme reçue) : contre-don funéraire (香典返し kôden-gaeshi), contre-don de mariage (結婚式引き出物 kekkon-shiki hikide-mono), etc. (Cobbi, 1993 : 104-107).

    Les souvenirs de voyage entrent donc dans la première catégorie et sont les cadeaux offerts et reçus en plus grand nombre. Contrairement aux Français, qui ont tendance à ramener moins de souvenirs mais essaient de personnaliser chaque souvenir en fonction de son destinataire, les o-miyage ne sont pas particulièrement personnalisé, ce qui explique que tous les foyers japonais regorgent des mêmes bibelots. D'une manière générale, plusieurs petits cadeaux sont plus appréciés qu'un gros cadeau, et un soin particulier est apporté à l'emballage.

    Cependant, la tradition ancienne des cadeaux encore très en vogue au Japon a en fait été réactivée par les industriels pendant le lancement de la croissance économique japonaise pour stimuler la consommation. Pendant les années 1960, avec les débuts de la société de consommation, s'instaure un véritable marché du cadeau, très vite soutenu par la création de rayons « cadeaux » dans les grands magasins. Par exemple, le chûgen était à l'origine offert lors de la fête d'O-bon, fête pendant laquelle on visitait sa parentèle, et on se sentait donc obligé d'apporter quelque chose ; à l'heure actuelle, les visites pendant la semaine d'O-bon se font beaucoup moins nombreuses, donc ce phénomène aurait dû s'atténuer ; mais encouragé par les industriels et les distributeurs à grand coup de publicité, cette tradition devenue désuète est revenue au goût du jour.

    Si les cadeaux sont peu personnalisés, ils subissent les effets de la mode. Par exemple, le thé noir (appelé thé rouge au Japon) est symbole de faste (couleur rouge, contrairement au thé vert offert comme contre-don funéraire) ; il est donc tout indiqué comme cadeau de visite ou souvenir de voyage. Ainsi, dans les années 1980, une grande marque française a vu ses ventes de thé à la pomme exploser car il était devenu subitement célèbre au Japon et était réclamé comme souvenir de Paris. Pour les souvenirs de voyage japonais, ce n'est donc pas tant le fait qu'il soit adapté à la personne qui le reçoit ou qu'il soit représentatif du lieu visité qui importe, mais qu'il soit en vogue. Les spécialités locales (déjà très consommées pendant l'époque d'Edo) font aussi de très bons o-miyage.

     

    Bibliographie

    COBBI Jane (1993), « L'échange des cadeaux au Japon », in COBBI Jane (dir.), Pratiques et représentations sociales des Japonais, Paris, Editions l'Harmattan, pp.103-116.

    COBBI Jane (1993), « Le marché du cadeau », in COBBI Jane (dir.), Pratiques et représentations sociales des Japonais, Paris, Editions l'Harmattan, pp.151-153.

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 18 Novembre 2013 à 13:50

    Je veux lire ce mémoir.

    C'est incroyable de se rendre compte comme ça de l'empleur d'un phénomène quant on l'a vécu de l'interieur. Ca m'a aussi beaucoup surpris au début, et je me suis vue commencer à faire de même, parce que je me sentias mal d'en recevoir sans en donner en retour.

    2
    Dimanche 24 Novembre 2013 à 20:39

    Un jour, quand je l'aurai corrigé (il faut que je m'y mette!!!...), je mettrai le mémoire en ligne sur le blog. En téléchargement pdf (mémoire intégral) et en pièces détachées dans les articles.

     

    Pour ce qui est des o-miyage, je n'ai pas encore été au Japon, donc je n'en sais que ce que j'en connais, mais ça a l'air assez incroyable, en effet !

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