• Banshun (Printemps tardif), Ozu, 1949

    J'inaugure ici une nouvelle série d'articles qui porteront sur un nouveau thème : le cinéma. Il s'agit en fait de commentaires libres que j'ai écrits dans le cadre d'un cours de cinéma japonais en 3e année de licence. Ils s'appuient principalement sur le cours et ma propre analyse personnelle, d'où l'absence totale de références et quasi-totale de mise en contexte des films et des réalisateurs (mais je suis sûre qu'une petite recherche wikipédia ou autre vous renseignera sommairement sur ces points). Il faut savoir que je n'ai aimé à peu près aucun des films étudiés, et que certains m'ont même choquée/dégoûtée !

    Concernant Ozu, dont il est question aujourd'hui, je me souviendrai toujours d'une remarque de ma prof : "Quand on a vu un film d'Ozu, on les a tous vus." Je ne sais pas si c'est vrai, vu que je n'ai vu que celui-là, mais j'étais très heureuse d'apprendre que je n'aurais plus jamais à en regarder un autre XD

    Dans tous les cas, enjoy !

     

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    晩春

     

    Banshun (Printemps tardif), Ozu, 1949Avec Printemps tardif, Ozu marque un tournant dans sa carrière et dans son style, qui se définira ensuite d’après la plupart des procédés utilisés dans ce film, même s’ils ne m’ont pas toujours paru ici systématiques. C’est la mise en place de tout ce panel de caractéristiques qui fera dire d’Ozu qu’il est le plus japonais des réalisateurs ; cela est vrai pour ses thèmes mais est aussi repérable dans sa technique. Ce commentaire tentera donc de recenser ces caractéristiques.

     

    Tout d’abord, au niveau de la technique, la caméra relativement statique – elle bouge tout de même parfois – pose le cadre. Ozu préfère souvent avoir la caméra fixe, ou du moins, fixe par rapport à un objet de la scène : par exemple, lorsque la caméra filme l’extérieur du train en mouvement, d’un côté elle bouge – puisque le train bouge – et cela se voit au paysage qui défile sur le côté, mais d’un autre côté, toute la partie du train visible dans le champ est immobile et la caméra l’est donc aussi vis-à-vis de cette partie du cadre.

                                                                                                                                                    source image

     Une autre caractéristique de la caméra est qu’elle est souvent placée au niveau du sol. Cela parait logique en intérieur, puisque la plupart de ces scènes se déroule au niveau des tatamis autour de tables basses, conformément à la tradition japonaise. Cette position basse de la caméra peut donc être considérée comme caractéristique d’un cinéma japonais. Mais là où cela pose problème, c’est que lorsque les personnages se lèvent, la caméra reste statique et une partie de leur corps se retrouve hors du champ sans aucune tentative de cadrage. Peut-être peut-on y voir une mise en pratique par la technique d’un thème – que je développerai plus tard – qui se dessine tout au long du film : les oppositions entre tradition et modernité dans ce Japon juste après-guerre. Ainsi, la caméra occidentale a du mal à capter la vie traditionnelle dans son ensemble.

    De même, cette position basse et statique de la caméra est parfois utilisée en extérieur, même si cela n’est pas systématique. Par exemple, le passage du train est filmé ainsi. Peut-être peut-on y voir une sorte de regard à la japonaise sur un exemple de la modernité venue d’Occident. C’est sans doute un peu tiré par les cheveux, mais il faut bien tenter d’expliquer cette application des techniques intérieures à l’extérieur, sans quoi cela parait ne pas avoir de sens.

    Du point de vue de la technique, on remarque aussi l’utilisation de scènes oreiller, même si je n’en ai pas vu beaucoup et elles m’ont souvent paru difficiles à comprendre.

    On peut donc déjà voir qu’Ozu met en place un certain nombre de caractéristiques techniques qui définiront dès lors son style, même si elles ne semblent pas encore appliquées de manière systématique. Peut-on en dire autant au niveau des thèmes développés par l’histoire ?

     

    Le film raconte l’histoire d’une jeune fille qui refuse de se marier pour ne pas laisser son père seul. Dans cette trame, déjà, on retrouve plusieurs thèmes de prédilection d’Ozu. Tout d’abord, l’intrigue se déroule autour d’une famille dont la mère est absente, même si on ne sait pas pourquoi ; sans doute est-elle morte. La raison n’est pas importante car c’est le présent qui compte : on raconte une histoire, un pan de vie, pas toute une vie.

    Dans cette famille, c’est le mariage de la fille qui pose problème – comme d’habitude chez Ozu, pourrait-on dire – et le titre Printemps tardif réfère sans doute à l’épanouissement tardif de Noriko en tant que femme mariée.

    Mais ce qui fait, pour moi, ce style si japonais que l’on prête à Ozu, c’est qu’il traite d’un thème incontournable dans le Japon depuis Meiji jusqu’à nos jours, et notamment en cette période de juste après-guerre : la modernisation du Japon.

    Par exemple, l’utilisation des vêtements est importante. Avec le principe du uchi et du soto japonais, les vêtements que l’on porte à l’intérieur sont souvent des vêtements japonais, alors que les vêtements d’extérieur, souvent pour aller travailler par exemple, sont des vêtements à l’occidentale, comme si ces deux mondes, intérieur et extérieur, ne se mélangeaient pas. La séparation dans le film n’est pourtant pas toujours aussi nette et des glissements s’effectuent, reflétant peut-être encore plus les difficultés de la modernisation puisqu’on ne sait plus exactement quand on doit porter quoi.

    Pour rester sur la question des vêtements, on remarquera également que les jeunes ont tendance à porter des vêtements occidentaux alors que leurs ainés préfèrent les vêtements traditionnels. Cela est par exemple très visible lorsque les deux hommes sont vus pour la première fois : le maitre est en kimono et son assistant en costume, alors qu’ils travaillent tous deux sur des tables basses dans une pièce à tatamis. La nouvelle génération opère donc mieux le mélange entre tradition et modernité.

    Le personnage qui incarne la modernité est d’ailleurs l’amie de Noriko. Fière d’être divorcée et remariée, elle travaille, son intérieur est tout à l’occidentale, elle fait des gâteaux. Cependant, malgré sa tante qui la caractérise de « peut-être un peu vieux jeu pour son âge », Noriko me semble un personnage assez complexe du point de vue de la modernité. En effet, elle ne veut pas se marier pour s’occuper de son père. Cela semble à priori une vision plutôt traditionnelle de la vie, mais pour cela, elle refuse le mariage, qui est pourtant l’acte par lequel une jeune fille japonaise sert sa famille au mieux de ses intérêts d’après la tradition. En refusant ce mariage, elle s’oppose, même si cela n’est pas violent, à l’autorité paternelle et à celle de sa tante. De même, elle ne veut pas d’une marieuse. Cela semble se rapprocher plus d’une conception occidentale de l’amour. Ainsi, il me semble que ces deux jeunes filles se complètent pour incarner les changements qui s’opèrent parmi les jeunes filles de cette époque. Cependant, leurs méthodes sont différentes : peut-être est-ce un signe de balbutiement dans ces tentatives de modernisation de la société face à la tradition que l’une rejette totalement, et que l’autre a du mal à concilier avec ses propres idées romantiques.

     

    Ainsi, Ozu marque le premier d’une série de film qui terminera sa vie, où son style s’affirme aussi bien au niveau de la technique que concernant ses thématiques de prédilection. Notons que dans ce film, il emploie bon nombre de personnes de son équipe quasi-fixe. Ainsi, Ozu n’est-il peut-être pas tant le plus japonais par opposition à quelque chose qui serait le plus occidental mais plutôt parce qu’il a adapté ses modes de représentation – une technique occidentale pour filmer une vie japonaise – à un de ses thèmes majeurs : l’opposition entre la tradition et la modernité. Le fond et la forme servent ce discours complexe qui ne donne, me semble-t-il, pas de réponse claire. Je finirai cependant en notant que vers la fin du film – je ne me rappelle pas exactement où – une scène se termine par une pile de magazines qui tombent d’une pile de livres sur une chaise, comme si la modernité avait des difficultés à rester stables sur les bases – stables – de la tradition sur laquelle elle repose. Enfin, si on revient sur le titre, on pourrait peut-être pousser à y voir une sorte de relation avec les thèmes de la poésie classique : l’emblème du printemps est la fleur de cerisier ; or, une fleur s’épanouit. Si le titre fait bien référence à la vie de Noriko, son épanouissement dans le mariage est donc rattaché à la tradition. On peut donc y voir également une sorte de retour en arrière : après une sorte de « crise de modernité », elle entre ensuite pleinement dans la tradition, mais tardivement.

     

     


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