• Wakas - 和歌

    Les wakas 和歌 sont littéralement des "poèmes japonais". La forme qui va être la plus utilisée ici est le tanka 短歌, littéralement "poème court", caractérisé par la métrique suivante : 5-7-5-7-7.

     

    Index des wakas :

    - Porte vitrée, lampe et clair de lune (Masaoka Shiki, 1867-1902)

    - L'automne est arrivé (Fujiwara no Toshiyuki, ??-901ou907)

    - Les longues nuits solitaires d'automne (Ôtomo no Yakamochi, v.718-785)

    Le temps n'efface pas (Ki no Tomonori, v.850-v.904)

  • ガラス戸の   

    外のつきよをながむれど

    ランプのかげの

    うつりて見えず             (正岡子規)

     

    Bien que j'essaie de contempler 

    La nuit de clair de lune

    A travers la porte vitrée

    La lampe s'y reflète

    Et je ne vois rien                     (Masaoka Shiki - 1867-1902)

     

    "garasu-do no / soto no tsukiyo o nagamuredo / ranpu no kage no / utsurite miezu"

     

    Note : Bien que ce poème soit ici reproduit sur 4 lignes (tel que je l'ai trouvé sur internet), la métrique 5-7-5-7-7 du waka est conservée dans le rythme. La césure supplémentaire vient entre "soto no tsukiyo o" et "nagamuredo".

     

    A propos du poème :

    J'ai choisi ce poème car il illustre encore une fois mes articles précédents (Les kanjis : informations générales et La flexibilité du système d'écriture japonais) sur le système d'écriture japonais très flexible. J'ai trouvé ce poème transcrit exactement de la sorte sur plusieurs sites internet, alors que certaines versions introduisaient plus de kanjis. Principalement :

    - 月夜 pour つきよ

    - 影 pour かげ

    Mais on pourrait ajouter :

    - 眺むれど pour ながむれど

    - 映りて pour うつりて

    Et ajoutons que ガラス se transcrivait à l'origine (à l'introduction du mot) avec les kanjis 硝子.

    Je ne peux pas être certaine que la transcription que j'ai choisie est celle choisie par l'auteur, mais en tout cas, elle est correcte.

    De plus, je trouve ce poème et la période à laquelle il a été écrit très intéressants.

    Il s'agit de l'époque Meiji (1868-1912), époque où le Japon, par peur d'être colonisé comme ses voisins asiatiques par les "Occidentaux" décide de devenir une puissance "occidentale" à son tour. Le pays introduit donc massivement la culture occidentale, d'où deux mots écrits en katakana dans le poème : ガラス "garasu" issu de l'anglais "glass" (et qui est, notons le, le premier mot du poème) et ランプ "ranpu" qui viendrait de l'hollandais, et signifie "lampe". La modernité a donc infiltré ce poème, malgré une langue qui garde des airs anciens. Le verbe ながむる "nagamuru" est la forme ancienne du verbe moderne ながめる "nagameru", et うつりて "utsurite" la version ancienne de うつって "utsutte".

    D'ailleurs, la porte vitrée est une importation occidentale. Les portes et fenêtres traditionnelles japonaises sont en bois et en papier. Et c'est cet élément, le premier du poème, qui est l'élément déclencheur de celui-ci. Dans une maison traditionnelle, il est impossible de contempler le clair de lune depuis une pièce fermée (un shôji aux parois en papier). La porte fenêtre, grâce au verre translucide, le permet, mais le verre est aussi une matière réfléchissante et il reflète donc la lampe. Il est donc également impossible de contempler le clair de lune à travers la porte vitrée. Alors que la porte fenêtre occidentale semble être une solution pratique pour voir à l'extérieur sans ouvrir la fenêtre, finalement, elle pose aussi son lot de problème. Quand une lumière est allumée à l'intérieur, il est impossible de voir à l'extérieur à travers du verre puisque le verre reflète la lumière de la pièce. La seule solution, dans les deux cas, est donc sans doute d'ouvrir la fenêtre...

    Ce poème reflète donc l'introduction de la modernité occidentale dans le Japon de l'ère Meiji, et la façon dont ces objets ont peu à peu trouvé leur place dans le quotidien des Japonais, mais sans pour autant ne pas apporter quelques problèmes ou interrogations. 

    Il est d'ailleurs intéressant de constater que le poète est né à la veille du début de l'ère Meiji.

    J'avais traité le thème de la modernité dans le Japon de Meiji dans mon premier haiku, mais dans ce dernier, la confrontation n'engendrait pas un nouveau problème mais simplement un nouveau paysage, et la modernité n'était pas symbolisée par l'emploi de katakana mais au contraire, par un emploi systématique de kanjis plus ou moins complexes.

     

    Notes grammaticales : 
    - le verbe ながむる "nagamuru" est à la forme Izen (已然形 / IZK) ながむれ "nagamure" pour y accrocher l'élément ど "do", car en japonais ancien, IZK+ど = ~ても "te mo" ("bien que") / ~けれども "keredo mo" en japonais moderne. (Je ferai un article sur les règles de bases du japonais ancien plus tard)

    - 見えず "miezu" correspond au japonais moderne 見えない "mienai". Il est construit avec la forme Mizen (未然形 / MZK) auquel s'accroche l'auxiliaire ず "zu" de la négation.

    - le の "no" qui suit かげ "kage" est une particule de sujet qui peut remplacer la particule が "ga" lorsque la proposition est très courte.

     

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  • 秋来ぬと

    目にはさやかに

    見えねども

    風の音にぞ

    おどろかれぬる             (藤原敏行、『古今集』、905年)

     

    Bien que l'on ne voit

    Pas clairement que

    L'automne est arrivé,

    On s'en aperçoit

    Au bruit du vent                                                                 (Fujiwara no Toshiyuki, dans le "Kokinshû", 905)

     

    "aki konu to / me ni ha sayaka ni / miene-domo / kaze no oto ni zo / odorokarenuru"

     

    Note : J'ai traduit le verbe de la principale à la 3e personne, mais rien n'empêche de le comprendre à la 1ère personne : "je m'en aperçois".

     

    A propos du poème :

    J'ai choisi ce poème car il me fait un peu penser à la situation que je vis, ici, mi-septembre 2013, au Mont-Saint-Michel. Théoriquement, c'est encore l'été, puisqu'on est en septembre, et pourtant, c'est déjà complètement l'automne, et ce, sans transition, du jour au lendemain. Pourquoi? Parce qu'il fait gris, froid, qu'il pleut et qu'il vente ! (sauf aujourd'hui où il a fait grand soleil et très chaud alors qu'il devait faire froid et pleuvoir...)

    Le poème décrit une transition beaucoup plus douce et subtile, tellement enviable ! (même si je n'envie pas les étés "tropicaux" du Japon...) ... et tellement plus propice à la composition d'un waka comme je les aime.

    En effet, la thématique et l'ambiance de ce poème sont tout à fait représentatifs des wakas anciens que j'aime lire : une ambiance sereine, dans un cadre de nature, pas vraiment d'action, mais plutôt un tableau visuel et sonore (souvent, un oiseau chante, un ruisseau coule, le vent souffle, les vagues roulent...), et c'est cet élément souvent sonore qui fait naître un sentiment ou une sensation chez le poète, notamment à travers les verbes 驚く "odoroku" et 驚かす "odorokasu", qui ont un sens très vaste allant de "s'apercevoir", "suprendre", "étonner" à "émerveiller" ("odorokasu" ayant pour nuance supplémentaire de "faire s'étonner" le locuteur qui est son COD, alors qu'il est sujet de "odoroku"). Par exemple, j'ai repris ce thème dans ce haiku.

    A part les notes grammaticales, je n'ai pas beaucoup de commentaires à faire. Bien qu'il date du Xe siècle, il se lit très facilement, moyennant quelques connaissances basiques en langue ancienne.

    Notons que ce poème est tiré du 『古今集』 "Kokinshû" ou 『古今和歌集』 "Kokin wakashû" en version complète, qui est un recueil de poème japonais compilé en 905 à la demande de l'empereur Daigo. Son titre signifie littéralement "recueil de poèmes japonais d'hier et d'aujourd'hui" (古 = ancien, 今 = maintenant, 和歌 = poème japonais, 集 = recueil).

     

    Notes grammaticales : 

    - Le verbe 来ぬ "konu" est la forme passée du verbe ancien 来 "ku". Et attention !!! Malgré ce que les films et mangas de samurai ou de yakuza peuvent nous laisser penser, dans la langue (très) ancienne, l'auxiliaire de la négation n'est pas ぬ "nu" mais ず "zu", qui devient en effet ぬ "nu" en forme Rentai (RTK ou forme déterminante), or, c'est des formes RTK et non des formes finales des anciens auxiliaires que sont nés les nouveaux auxiliaires. Ici, l'auxiliaire est donc l'auxiliaire ぬ "nu" qui est un auxiliaire du passé (c'est le た "ta" du japonais moderne). 来ぬ "konu" ne signifie donc pas "ne vient pas" mais "est arrivé".

    - と "to" de citation : "on ne voit pas [ce qui vient avant "to"]".

    - 見えねども : c'est le verbe ancien 見ゆ "miyu" = voir (見る "miru" en langue moderne). Il est à la forme Izen (IZK) 見え "mie", à laquelle s'accroche l'auxiliaire de la négation ず "zu", lui aussi en IZK (ce qui donne ね "ne"), pour lui accrocher ども "domo" = bien que. En fait, c'est assez difficile de décrire un verbe ancien dans l'ordre de lecture car la logique de cette langue remonte de la fin vers le radical : "domo" s'accroche à une IZK, donc "ne" est une IZK, celle de "zu" = négation, qui s'accroche aussi à une IZK, "mie", IZK de "miyu".

    - ぞ "zo" est un procédé de renforcement, qui entraine une règle de 係り結び "kakari-musubi", à savoir qu'il modifie la forme du prochain verbe, qui sera en forme Rentai (RTK) au lieu de forme finale Shûshi (SSK).

    - おどろかれぬる "odorokarenuru" : ぬる "nuru" est une RTK (et non une forme finale SSK) car il y a un musubi avec le "zo" précédent, il s'agit de la RTK de ぬ "nu" = passé. ぬ "nu" s'accroche à une forme Ren.yô (RYK), donc れ "re" est la RYK de l'auxiliaire る "ru" = passif (ou apparition d'un sentiment spontané), qui s'accroche à la forme Mizen (MZK) おどろか "odoroka" du verbe おどろく "odoroku".

    On peut donc traduire ce poème en japonais moderne de la manière suivante : (traduction empruntée à ce site)

    秋が来たと目にははっきりと見えないけれど、吹く風の音で、もう秋なのだと、はっと気づかされる。

     

    PS : une autre traduction trouvée pour "odorokarenuru" est : "le bruit du vent m'a fait sursauter".

     

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  • いまよりは

    秋風寒く

    なりぬべし

    いかてかひとり

    長き夜をねん               (大伴家持、8世紀、『新古今集』、1439年 ) 

     
     

    A partir de maintenant,

    Le vent d'automne va sûrement

    Devenir froid.

    Comment vais-je pouvoir dormir seul

    Pendant les longues nuits?             (Ôtomo no Yakamochi, VIIIe siècle, dans le "Shin

                                                                              Kokinshû", 1439)

     

    "ima yori ha / aki-kaze samuku / narinubeshi / ikate ka hitori / nagaki yo o nen"

     

    A propos du poème :

    Voici encore un poème qui a attiré mon attention car il faisait écho à ma situation personnelle. Après avoir passé l'été avec mon amoureux, il a dû rentrer chez lui pour ses études, et la première soirée dans l'appartement vide a été une soirée cafard... Et tout cela exactement la semaine où l'automne arrive d'un coup, à grand coup de vent, pluie et froid !

    Mais ensuite, j'ai lu les circonstances de composition du poème, et Ôtomo no Yakamochi avait un peu plus de raisons de se sentir seul. En effet, il pleure ici le décès de sa femme.

    Le 『新古今和歌集』 "Shin Kokin Wakashû" ou 『新古今集』 "Shin Kokinshû" (littéralement : "Nouveau recueil de poèmes d'hier et d'aujourd'hui") est une anthologie de poèmes japonais terminée au XVe siècle qui vient compléter le "Konkinshû" compilé au début du Xe siècle. Cela explique l'écart de 7 siècles entre les dates de l'auteur du poème et de l'ouvrage dont est effectivement tiré le poème.

     

    Notes grammaticales : (en partie tirées du manuel de bungo de Jacqueline Pigeot, p.92-3. Voir notice bibliographique ici)

    - より "yori" est un équivalent de から "kara": il indique un point de départ, donc ici, "à partir de maintenant"

    - 寒くなりぬべし: l'auxiliaire べし"beshi" (devoir, probabilité) a ici une fonction conclusive, il est donc à la forme conclusive SSK. Il se rattache à une SSK. ぬ"nu" est donc à la SSK : SSK de l'auxiliaire ぬ"nu" (accompli), qui se raccroche à une RYK. なり"nari" est donc la RYK du verbe なる"naru" (devenir), qui se raccroche à une RYK. 寒く"samuku" est la RYK de l'adjectif 寒し"samushi" (froid). L'auxiliaire べし"beshi" indique ici que le processus, étant naturel, est attendu. Littéralement, en automne, il "doit" faire froid.

    - いかて"ikate" signifie "comment". C'est en fait la contraction de いかに"ikani" (comment) renforcé par て"te". La particule interrogative か"ka" se place directement après l'interrogatif en bungo, d'où いかてか. De plus, la particule か"ka" entraine un 結び"musubi" (conjugaison inhabituelle induite par une particule) en RTK.

    - 長き夜"nagaki yo" : l'adjectif 長し"nagashi" ayant ici une fonction déterminante, il est à la forme déterminante RTK 長き"nagaki".

    - ねん"nen" : ん"n" est une forme contractée de l'auxiliaire む"mu" (comme le son "u" est souvent muet en fin de mot, il est rapidement tombé, même à l'écrit). Cet auxiliaire est ici forcément en RTK, à cause du 係り結び"kakari-musubi" induit par la particule か"ka". Il se raccroche à une MZK. ね"ne" est donc la MZK de ねる"neru". L'auxiliaire む"mu" a un sens très large dit d'"hypothèse" (un peu comme でしょう "deshô" en japonais moderne), mais ce qu'il faut retenir ici, c'est qu'il est très souvent utilisé dans les phrases interrogatives.

     

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  • 年を経て

    消えぬ思ひは

    ありながら

    夜の袂は

    なほこほりけり              (紀友則、『古今集』、905年)

     

    Alors qu'en dépit du temps,

    Mes souvenirs ne

    S'effacent pas,

    La nuit, mes manches

    Sont toujours aussi gelées.                                            (Ki no Tomonori, dans le "Kokinshû", 905)

     

    "toshi o hete / kienu omohi ha / arinagara / yoru no tamoto ha / naho kohori keri"

     

    A propos du poème :

    J'ai choisi ce poème car même s'il ne parle pas d'hiver, la notion de glace fait assez écho au froid qui vient de tomber aujourd'hui.

    Bien que cela ne saute pas nécessairement aux yeux d'un profane, il s'agit bien d'un poème d'amour. En effet, en poésie japonaise classique, le verbe 思ふ "omou" signifie "penser à l'être aimé" et non simplement "penser". 思ひ "omohi" n'est donc  ici sans doute pas une simple pensée mais le souvenir de l'amant. De plus, le motif des manches gelées ou mouillées est très récurrent en poésie classique. Cela sous-entend qu'elles sont mouillées parce que l'on a pleuré dessus. Et la nuit est bien sûr un moment propice aux souvenirs de l'amant, aussi bien qu'un moment où l'on peut se permettre de pleurer.

     

    Notes grammaticales : 

    - 消えぬ: ぬ "nu" est la forme déterminante (RenTaiKei) de l'auxiliaire de la négation ず "zu", puisque 消えぬ détermine 思ひ.

    - けり: auxiliaire introduisant une exclamation ou une émotion en poésie. S'accroche à la forme connective (RenYôKei) こほり du verbe "geler" こほる.

    Notons qu'alors que certains poèmes datant de la même époque sont extrêmement difficiles à lire, il est remarquable que celui-ci se lise aussi facilement. La seule petite difficulté réside dans l'évolution des sons et de l'orthographe :思ひ => 思い ; なほ => なお ; こほる => こおる.

     

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