• Vrac culturel

  • Un Européen qui ne connaît du Japon que l’image qu’il lui renvoie répondra catégoriquement : oui. L’a-t-il toujours été ? Encore oui. Bien sûr, l’image des clans fondés autour d’un patriarche et d’une époque guerrière glorieuse rend la réponse sans appel. Pourtant, si on se plonge plus profondément dans l’Histoire de ce pays, on en vient à douter de la radicalité de cette réponse.

    Il ressort de cette étude que le Japon n’est devenu patriarcal à proprement parler qu’avec l’instauration du code civil et l’application systématique à toutes les couches de la société des doctrines (néo) confucianistes chinoises lors de la restauration Meiji en 1868. Et le système qui dirigeait le Japon avant cela en ressort plus complexe qu’il en a l’air : sans être totalement patriarcal, ni matriarcal, il est alors qualifié de système-jumeau : 双系制.

    Dans Mort du père et place de la femme au Japon, Nilsy Desaint explique que les textes chinois qui nous renseignent sur la protohistoire japonaise font état d’une reine, Himiko, régnant sur le pays du Yamatai. De plus, la déesse majeure et fondatrice de la religion japonaise, Amaterasu, est une femme. Entre autres sur ces constatations, elle conclut que la société japonaise préhistorique était peut-être matriarcale. Si on considère que le patriarchisme a été engendré par l’assimilation du Conficianisme chinois (la société chinoise fonctionne du fait de cette pensée sur un mode extrêmement patriarcal), on peut affirmer que le passage d’un système à l’autre s’est fait à Asuka, avec la Constitution en 17 articles de Shôtoku Taishi (régent d’une impératrice, précisons-le) basée une étude approfondie du modèle chinois.

    Il ne faut cependant pas oublier un détail : la spécificité japonaise qui consiste à assimiler les techniques des autres peuples et les transformer pour pouvoir les adopter. Les Japonais ont longtemps cherché une particularité qui ferait d’eux un peuple souverain égal à ses voisins plutôt qu’un simple satellite de l’Empire chinois. Si elle existe, il semblerait que cette particularité soit en fait cette capacité d’assimiler en les japanisant les techniques venues de l’étranger (je consacrerai bientôt un long article à cette spécificité japonaise).

    Ainsi, le Confucianisme au Japon jusqu’à Edo est un Confucianisme japonais, c’est à dire qu’il n’est pas une application systématique du système chinois. La preuve en ce qui concerne Asuka est que la Constitution en 17 articles organisait surtout la bureaucratie du nouveau gouvernement et ne concernait donc en grande partie que les nobles. Cette première assimilation du système chinois est donc resté confiné aux hautes sphères japonaises et ne s’est pas étendu au Japon profond.

    Pendant l’époque Heian, la fermeture des relations avec la Chine va permettre le développement d’une culture et d’une vie totalement japonaises sur les bases d’une vie à la chinoise (à la Cour). C’est encore la preuve de la particularité japonaise. Au Moyen-Age, les relations diplomatiques reprennent, et pour cette époque, nous possédons des preuves que le patriarchisme n’était pas totalement dominant. En effet, Luis Frois, moine portugais, décrit en 1585 dans son Européens & Japonais : Traité sur les contradictions & différences de mœurs son étonnement face à la grande liberté dont disposent les femmes au Japon par rapport aux Européennes.

    Au début d’Edo, avant la re-fermeture de ces relations, est réintroduit le Confucianisme du continent sous la forme du Néoconfucianisme. Cependant, ce Confucianisme est encore adapté à la sauce japonaise avec notamment la réorganisation de l’ordre d’importance des valeurs : par exemple, là où en Chine, la première vertu est la piété filiale, puis la relation au seigneur, au Japon, l'ordre est inversé. On peut donc en conclure qu’encore une fois, en adaptant la doctrine, le Japon l’intègre plus ou moins à son fonctionnement et cette introduction n’a pas fondamentalement transformé les pensées, seulement l’organisation administrative et sociale de la population.

    Cependant, la Restauration Meiji ne relève pas du même phénomène d’assimilation. Menacé par l’Occident et ce qu’il impose et inflige à ses voisins asiatiques, le Japon est forcé à l’ouverture et, pour éviter la colonialisation, doit prouver qu’il est un pays moderne et fort, dans le camp de force des colonisateurs et non des colonisés. Dans ce but, le nouveau gouvernement va réorganiser tout le pays – géographiquement, socialement, politiquement – afin de créer un Etat moderne à l’égale des Occidentaux. Ainsi, toutes les modifications apportées, qu’elles soient empruntées à l’Occident ou au continent asiatique, sont appliquées systématiquement à l’ensemble de la population. C’est donc la première fois que les modèles empruntés à des société patriarcales vont être assimilées en l’état, ce qui appuie donc le point de vue selon lequel le patriarchisme au Japon n’est pas un élément constant dans l’Histoire du Japon mais qu’il remonte en réalité à l’entrée du Japon dans la modernité.

     

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  • Dossier réalisé pour un séminaire de "Culture de l'Asie" en Master 1.

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    La spécificité du Japon a beaucoup été recherchée par de nombreux Japonais. Pour n’en citer que deux, Motoori Norinaga (本居宣長1730-1801) au XVIIIème la trouvait dans le système conjoint d’écriture à trois types de signes (les Kanji d’importation chinoise et les Kana – Hiragana et Katakana – provenant d’une simplification des premiers) qui se trouve être unique au monde (bien qu’on puisse trouver certains traits communs avec le linéaire B). En association avec ce système d’écriture, il pensait avoir trouvé la spécificité japonaise dans la littérature et l’appelait « mono no aware » (もののあはれ), concept difficile à définir et encore plus à traduire, disons simplement « sensibilité pour l’aspect éphémère des choses », mais cette sensibilité peut être imputée au Bouddhisme qui a été importé au Japon en n’est donc pas foncièrement japonais, et une possible critique sur les objets même de l’étude de Norinaga – à savoir que ce sont des textes écrits, or, l’écriture étant importée de Chine, on peut remettre en cause le caractère exclusivement Japonais de ces œuvres – confirme qu’il faut peut-être se méfier de ce « mono no aware » et de ses origines.

    Plus récemment, Maruyama Masao (丸山真男1914-1996) appelle « shintô » (神道) l’absence d’axe des ordonnées au Japon : pour lui, ce « shintô » est comparable à un tissu d’étoffe dans lequel on peut mettre pêle-mêle tous les concepts, importés ou non, sans qu’ils ne déchirent la toile. Sans axe des ordonnées, il n'y a pas d'orthodoxie et donc pas d'hétérodoxie fondamentales au Japon. Ainsi, d’après lui, tout peut y cohabiter, il n'y a pas besoin de refouler un concept pour en accepter un autre, et c’est une spécificité japonaise. Par exemple, on dit souvent qu'au Japon, on naît shintô, on se marie chrétien et on meurt bouddhiste.

    Dans son article « Géopolitique de l’écriture – la psychanalyse du Japon », Karatani Kôjin (柄谷行人1941-) corrige Maruyama en expliquant que cette spécificité japonaise – qui en est indéniablement une – ne peut s’expliquer au regard unique de l’Histoire du Japon, comme Maruyama l’avait fait en en analysant les couches les plus anciennes, mais doit être expliquée par une vision géopolitique globale de la zone dans laquelle se trouve le Japon, à savoir l’Asie Extrême Orientale. D’après Karatani, pour étudier le Japon, il faut donc l’étudier à travers ses rapports avec la Chine, et surtout avec la Corée, ces derniers rapports n’ayant presque jamais été pris en compte par les penseurs japonais. Karatani reprend ainsi en partie la théorie des zones marginales et submarginales, développée par Karl Wittfogel (1896-1988) et reprise ensuite par de nombreux chercheurs comme Samir Amin (1931-).

    Dans ce dossier, nous nous proposons d’envisager le développement du Japon au cours de l’Histoire à la lumière de cette théorie des zones en la croisant avec d’autres théories de penseurs à propos du Japon, et d’étudier comment la position géopolitique du Japon a pu mener à la formation d'une telle spécificité japonaise, et comment cette situation géopolitique a poussé les Japonais eux-mêmes à se sentir spéciaux, voire supérieurs.

     

    I. La situation géopolitique du Japon

    1. Le peuplement du Japon

      Le peuplement du Japon remonte à plus de 30.000 ans, et s’est vraisemblablement fait par voie de terre, à une époque où le Japon (actuel) et la péninsule coréenne (actuelle) étaient reliés par un bras de terre. Il est donc le fait d’une immigration, mais cette donnée ne semble pas très pertinente pour notre étude, étant donné que la plus grande partie de la surface du globe a été peuplée par l’Homme moderne par différents flux de migration.

    On fait généralement remonter l’Histoire du Japon à l’époque Jômon (縄文時代du IIIème millénaire au IIIème siècle avant notre ère), bien qu’il s’agisse à proprement parler d’une période protohistorique. Il s’agit là d’une civilisation qui développe la poterie mais n’a pas encore adopté la riziculture.

    C’est à l’époque Yayoi (弥生時代IIIème s. av. - IIIème s. ap.) que se développe la riziculture. A cette époque, la culture japonaise se trouve relativement modifiée, même si on ne peut mesurer à quel point. Cela s’explique par une migration massive de Coréens suite à un conflit ouvert entre la Chine des Han et le Choson, un pays coréen, vers 108 avant notre ère. Ces coréens migrent au Japon où ils importent entre autre la riziculture et bien sûr leur culture. De plus, des études anthropologiques faites sur des squelettes d’hommes de Jômon ont montré que beaucoup d’entre eux étaient morts d’une même maladie, ce qui laisserait supposer qu’elle aurait pu être introduite au Japon par ces Coréens, eux-mêmes immunisés, et aurait ravagé une partie de la population Jômon. La diminution de cette population et les avancées techniques apportées par les Coréens explique ainsi l’adoption en grande partie de cette nouvelle culture, même si on ne peut pas savoir à quel point des traits de la culture Jômon ont pu être conservés dans cette nouvelle culture hybride qu’est la culture Yayoi.

    Il s’agit là de faits encore mal connus quant à l’origine des Japonais actuels. Il faut cependant citer un autre peuple, également mal connu : il s’agit des Aïnous. Ils ont longtemps été considérés comme les premiers habitants du Japon et ancêtres des Japonais modernes, mais cela est beaucoup remis en question, et tant leur origine que leur possible métissage avec d’autres Japonais ou immigrés Coréens restent incertains. Cependant, ce peuple qui a sans doute peuplé plus de la moitié du Japon dans l’Antiquité a été sans cesse repoussé par les Japonais qui s’organisaient dans une société différente de la leur et a fini par être lentement assimilé au peuple Japonais à partir du XIème siècle de notre ère.

    Ainsi, nous considérerons dans la présente étude le terme « japonais » pour les époques anciennes comme étant les Yayoi et leurs descendants, à savoir le peuplement qui forma le premier Etat japonais, le Yamato (大和), et qui a progressivement assimilé les Aïnous.

    A partir du Vème siècle, une nouvelle immigration coréenne est attestée et représente sans doute la migration la plus importante pour notre étude. Il s’agit cependant bien d’une immigration et ces immigrants s’intègrent dans la société japonaise de l’époque tout en apportant les techniques en usage sur le continent, principalement originaires de Chine.

    Il faut également noter quelques conflits sur les marges extrêmes de l’archipel, notamment dans les îles du Sud et du Nord où les frontières du Japon ont beaucoup changé avec le temps. On notera cependant que les Japonais n’ont jamais subi d’invasion entraînant l’ancienne culture à adopter par la force une culture importée et que, les conflits aux extrémités et avec les Aïnous mis à part, ils n’ont jamais ressenti le besoin de défendre les frontières de leur territoire puisqu’elles étaient naturelles (le conflit avec les Aïnous contredit cette idée, mais nous pensons qu’il faut considérer ce conflit comme interne au territoire Japonais et l’opposer au type conflit qui aurait pu opposer les Japonais à des conquérants venus de l’extérieur pour coloniser leur île).

     

    2. Réinterprétation des zones de Karl Wittfogel

    Nous allons maintenant expliquer la théorie des zones submarginales de Karl Wittfogel et déterminer dans quelle mesure nous l’utiliserons et l’adapterons dans notre étude.

    Karl Wittfogel a expliqué le développement de différentes zones du monde par la formation d’Etats despotiques, basés sur une administration forte mise en place pour la gestion de l’eau (irrigation,…). Il nomme les sociétés développant ces Etats « sociétés hydrauliques ». Ces sociétés hydrauliques se sont développées dans des zones arides ou semi-arides, où des travaux d’aménagements communs et importants étaient nécessaires. De plus, ces sociétés aux institutions fortes connaissent un certain rayonnement dans leur zone géopolitique. Le rayonnement des cultures de ces sociétés hydrauliques est, de manière logique, plus fort dans les zones limitrophes que dans des endroits plus éloignés. Ainsi, Wittfogel découpe cette zone d’influence ou de rayonnement en trois parties : la zone centrale, constituée de la zone hydraulique forte d’origine (aride ou semi-aride), la zone marginale qui lui est limitrophe et constituée dans un territoire moins aride, et la zone submarginale limitrophe de la zone marginale et subissant un influence moindre que sa voisine. En réalité, la zone submarginale (dans le cas du Japon par exemple) ne développe pas de société hydraulique à proprement parler (notamment dans le cas du Japon), mais appartient tout de même à la sphère de rayonnement de la société hydraulique centrale.

    Nous allons développer dans cette partie la pensée de Karl Wittfogel concernant le Japon, mais ce schéma semble fonctionner au-delà de la simple installation d’institutions autour de l’agriculture hydraulique et nous l’utiliserons donc afin d’expliquer un rayonnement culturel plus global des zones centrales.

    Culturellement, chaque zone se définit par des caractéristiques propres. La zone centrale se caractérise lors de sa formation par un fort dynamisme et de grandes innovations, mais une fois la civilisation bien établie sous la forme d’un Empire, elle a tendance à se raidir et à se reposer sur les acquis de son époque dynamique. La zone marginale subit l’influence de la zone centrale de manière relativement forcée alors que la zone submarginale la reçoit de manière plus diffuse. Ainsi, les zones submarginales deviennent les zones le plus dynamiques, puisqu’elles sont le moins influencées par le raidissement du centre, et peuvent même devenir à leur tour les centres de zones où les marges de leurs anciens centres deviennent leurs propres marges (par exemple, on peut considérer que la Grèce, qui était une zone submarginale des civilisations nées au Proche-Orient est devenu la zone centrale autour de laquelle s'est développée l'Europe). De plus, d’après Karl Wittfogel, les zones submarginales sont très propices à l’établissement du capitalisme, mais nous y reviendrons plus tard (II.3).

    En ce qui concerne plus précisément le Japon, il s’inscrit dans la zone suivante : Chine (centre) – péninsule coréenne (marge) – Japon (submarge). Si on reprend les caractéristiques de ces différentes zones, on constate que l’Empire chinois a en effet connu un grand dynamisme, ce qui lui a permis de se constituer en un Empire très puissant mais raidi par ses administrations. La Corée en tant que marge a subi l’influence de la Chine bon gré mal gré et a même eu tendance à essayer d’être plus chinois que les Chinois eux-mêmes dans l’application des concepts reçus de la Chine (le Confucianisme par exemple).

    Le Japon, quant à lui, a eu la chance de ne recevoir ces influences que par le biais d’immigrations et d’échanges culturels. En effet, il faut bien noter que l’intégration de concepts chinois importés par les Coréens à partir du Vème siècle par exemple, ne l’a pas été par la force d’une conquête militaire. Les Japonais n’ont jamais eu besoin de défendre leurs frontières contre un conquérant extérieur, contrairement aux Coréens, et ont donc décidé d’adopter ces nouveaux concepts, sans pour autant être forcés d’abandonner les leurs. C’est bien là ce que Maruyama nomme « shintô » et on peut déjà voir que ce concept semble s’expliquer, plus que par l’Histoire du Japon en elle-même, par la position géopolitique de celui-ci.

    De plus, pour reprendre le schéma hydraulique de Karl Wittfogel, il faut noter que le Japon n’a jamais été hydraulique car « les ressources en eau de ce pays ne nécessitent ni ne favorisent de travaux gouvernementaux importants. » Ainsi, les montagnes qui fragmentent l’archipel favorisent une irrigation fragmentée plutôt que coordonnée, donc les travaux hydrauliques n’ont jamais eu de l’importance qu’à l’échelon local par le biais de fonctionnaires locaux.

    Ainsi, que ce soit par une interprétation globale ou plus fidèle à la pensée de Karl Wittfogel, il parait évident que la différence de développement du Japon par rapport à ses voisins Orientaux dépend en réalité de facteurs géographiques et géopolitiques.

     

    3. Comparaison avec la Grande-Bretagne

    Afin de bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette situation géopolitique, il nous parait important de la comparer avec un autre pays dans une situation similaire. Nous avons choisi la Grande-Bretagne, zone submarginale de l’Empire romain, dont la zone marginale est constituée entre autres de la France et de l’Allemagne. Notons pour appuyer les propos énoncés plus haut que l’Empire romain peut également être considéré antérieurement comme zone submarginale du Levant dont la zone marginale serait la Grèce antique (ce schéma diffère légèrement de celui proposé par Wittfogel : Empire perse (centre) – Anatolie et Chypre (marge) – Empire romain et Grèce antique (submarge) pour son analyse des sociétés hydrauliques mais nous parait plus pertinente pour une analyse culturelle globale de la zone). Notons également que la Grande-Bretagne est un pays insulaire, tout comme le Japon.

    Notons enfin que dans la zone d’Asie Extrême-Orientale, la Chine peut être considérée à certains égards, au niveau du Bouddhisme par exemple, comme une zone en marge de l’Inde, ce qui complète l’analogie des situations entre le Japon et la Grande-Bretagne. De plus, on peut peut-être trouver une analogie à la situation entre Japonais et Aïnous dans la situation entre Anglais du Sud du Mur d’Hadrien et Ecossais au Nord, mais n’étant pas spécialiste de la Grande-Bretagne, nous laissons cette question à l’état de simple piste de réflexion.

    Ainsi, ces deux pays ont développé une culture plus ou moins différente de celle de leur centre, et on remarque qu’ils ont tous les deux été le centre initiateur du développement du capitalisme dans leur zone (Wittfogel précise que les zones submarginales sont propices au développement du capitalisme, ce que l’on constate aussi par exemple avec les Etats-Unis comme marge de la Grande-Bretagne).

    Cependant, la différence majeure se trouve dans la manière dont ils ont subi des influences de leur centre. En effet, si le Japon a choisi d’accepter les nouveaux concepts venus de Chine sans se les voir imposer par une conquête militaire et une mise en danger des frontières, la Grande-Bretagne a subi plusieurs invasions au cours de son Histoire qui ont été le média des importations de nouveaux traits culturels, à savoir l’invasion romaine, puis les différentes invasions barbares, ainsi que des invasions françaises…

    Cette différence fondamentale tend cependant à confirmer le caractère unique du Japon, bien qu’une seule comparaison ne saurait valoir pour toutes.

    On peut cependant se demander pourquoi ou comment le Japon a réussi à éviter ainsi toute invasion de son territoire. Karatani affirme que c’est grâce à la Corée qui a joué un rôle de zone tampon. Nous y reviendrons dans notre deuxième partie (II.2).

     

    II. Développement du Japon en tant que zone submarginale et spécificité japonaise 

    1. L'influence de la Chine

    Cette courte partie ne saurait bien sûr être exhaustive, mais tend simplement à montrer l’étendue de l’influence culturelle chinoise au Japon.

    Notons tout d’abord les apports des Vème et VIème siècle où une forte immigration coréenne ainsi que plusieurs ambassades en Chine importent bon nombre de concepts chinois. C’est par exemple sur la constitution chinoise qu’est basée la Constitution en 17 articles, première constitution japonaise, suivie de près par la réforme de Taika qui vise à créer un Etat centralisé sur le modèle chinois des Tang. C’est l’introduction du ritsuryôsei (律令制) ou système régi par des codes. Avec cette unification du pays est créée une administration fortement inspirée de l’administration chinoise, avec tout le protocole qui va avec. Cependant, Karl Wittfogel remarque que sur les 6 ministères du gouvernement des Tang, seuls 3 restent inchangés (taxation, guerre, justice), alors que 2 sont partiellement modifiés (personnel administratif, rites), et 1 n’est pas instauré (travaux publics), ce qui appuie bien son propos sur l’état non-hydraulique de la société japonaise.

    Avec ce système régi par des codes sont également introduits les différents mouvements de pensée et religieux du continent, principalement le Bouddhisme et le Confucianisme qui est en partie adopté par l’Etat nouvellement créé, étant donné que le ritsuryôsei est en fait la forme politique du Confucianisme.

    Enfin, autre apport majeur (parmi d’autres, bien sûr) est l’écriture, véhiculé en premier lieu par les textes religieux. Il ne faut pas oublier en parlant de l’écriture qu’il s’agit d’une écriture figurative et non phonétique, ce qui signifie qu’elle a un pouvoir extrêmement fort de formatage de la pensée, car la pensée n’est possible que grâce à la parole, et lorsque l’on veut transcrire la parole à l’écrit grâce aux Kanji, il faut choisir un caractère représentant un concept préexistant dans la pensée chinoise pour la représenter.

    Ces quelques exemples montrent bien la lourde dette culturelle du Japon vis-à-vis de la Chine. De plus, nous n’étudions ici ces influences que dans des époques relativement anciennes car elle ne sont là qu’à titre d’exemples.

     

    2. Le rôle double de la Corée

    Cependant, Karatani pense que le rôle de la Corée a trop longtemps été ignoré par les Japonais dans leurs discours sur le développement de leur pays ou dans les nihonjinron (日本人論), textes visant à trouver la spécificité du Japon. Et ce rôle est double.

    Tout d’abord, la péninsule coréenne a servi de zone tampon entre le continent et l’archipel nippon. En effet, on considère souvent que le Japon se caractérise par l'absence du « moi », et d'après Freud et Lacan, le « moi » se forge au travers de la « castration », c'est-à-dire du refoulement de son ancien système au profit d'un nouveau système imposé par conquête par un envahisseur. C'est ce qui s'est passé en Corée, conquise par la Chine. Or, d'après Karatani, la non-conquête du Japon au cours de son Histoire a été rendu possible, bien plus que grâce à l’insularité du pays (ce que confirme l’Histoire de la Grande-Bretagne), par la combativité des Coréens contre l'envahisseur chinois. Ainsi, la combativité coréenne aurait arrêté les volontés expansionnistes chinoises, mais aussi mongoles. En effet, Karatani affirme que les Mongols avaient épuisé la plupart de leurs forces contre les Coréens et n’ont donc pas réussi à envahir le Japon, bien que les Japonais imputent cet échec au kamikaze ou shinpû (神風), le « Vent divin ».

    De plus, il remarque que la réaction coréenne à l’imposition forcée du modèle chinois fort a été d’essayer d’être plus chinois que les Chinois eux-mêmes, par exemple par l’application très rigide du Confucianisme. Cela peut avoir eu deux impacts sur le Japon. Tout d’abord, beaucoup des concepts chinois introduits au Japon l’ont été par le biais des immigrants coréens. Or, ces concepts, passés dans les mains des Coréens, étaient donc plus ou moins différents des concepts chinois originaux. Cela a peut-être aidé le Japon à ne pas appliquer les concepts chinois tels quels, même après avoir potentiellement constaté les différences par des échanges culturels directement avec la Chine. De plus, ces concepts coréanisés très rigides ont peut-être paru trop rigides, justement, aux Japonais qui n’étaient pas forcés de les intégrer, ce qui les a peut-être poussés, encore une fois, à ne pas les intégrer totalement.

    Enfin, Karatani rappelle que l’invention des man.yôgana 万葉仮名, premiers caractères phonétiques japonais ainsi que l’usage de la lecture kun (kun.yomi 訓読み ou lecture japonaise des Kanji) était une invention coréenne.

     

    3. Le développement d'un système différent et peut-être unique

    Ainsi, Karatani ne contredit pas le « shintô » de Maruyama Masao mais critique la méthodologie qui avait amené à ce concept. En effet, Maruyama était remonté à « l’enfance du Japon » en essayant de trouver ce qui est spécifiquement japonais. Cependant, si l’on corrige l’origine de ce « shintô » (origine géopolitique, donc, comme nous l’avons montré précédemment), il semble rester valable, et même englober d’une certaine manière la théorie linguistique et culturelle de Motoori Norinaga. Ainsi, la spécificité du Japon semble résider dans sa capacité à intégrer tous les concepts de l’intérieur et à leur permettre de cohabiter, sans avoir besoin de refouler un ancien système pour en accepter un nouveau, et cela a été possible grâce à l’existence de la péninsule coréenne (d’après Karatani).

    Le reflet le plus direct de cette cohabitation est sans doute le système d’écriture mêlant conjointement 3 sortes de signes. Ainsi, d’après Motoori Norinaga, la partie en Kanji ou shi () exprime un concept d’origine chinoise, alors que la partie en Kana ou ji () est la partie spécifiquement japonaise et correspond à la fois à la grammaire et à une « sensibilité japonaise ». Karatani reprend cette opposition entre les signes en affirmant que les Kanji sont une partie d’origine étrangère alors que les Kana sont une partie proprement japonaise. A l’oral, on ne fait pas la différence, mais à l’écrit, on voit bien que ce qui est japonais et ce qui est étrangers sont signifiés différemment, et cohabitent sans besoin d’en refouler un pour utiliser l’autre.

    Une autre adaptation japonaise de l’écriture chinoise consiste dans l’utilisation de la lecture kun, qui est originairement coréenne, même si elle a vite été abandonnée en Corée où les caractères ont été un média important du refoulement. Ainsi, les Coréens ne pouvaient les utiliser que dans leur totalité et leur utilisation chinoise, puisque leur culture ancienne avait été refoulée. La lecture kun, d’après Karatani, « permet d’intérioriser les Kanji qui sont étrangers. » Les Japonais, plus libres dans leur utilisation des Kanji, les ont utilisé pour exprimer leur propre langue, plutôt que de formater entièrement cette langue pour la faire rentrer dans le moule de l’écriture chinoise.

    Karatani reprend ainsi une citation d’Akutagawa Ryûnosuke (芥川龍之介1892-1927) : « [les Chinois] ont apporté même les caractères exquis qui sont plus nobles que ces trésors. Mais la Chine, est-ce qu’elle a pu, à cause de cela nous conquérir ? Par exemple, regardez les caractères. Au lieu de nous conquérir, ils ont été conquis par nous. » Akutagawa a sans doute raison d’un côté : les Japonais se sont en partie appropriés les Kanji, mais il faut garder à l’esprit que les Kanji ont contaminé l’esprit japonais de façon pérenne puisqu’ils véhiculent des concepts d’origine chinois, ce que Motoori Norinaga leur reprochait d’ailleurs. De plus, les variations de prononciation des Kanji en Chine au gré des divers changements politiques n’ont cessé d’influencer les lectures on (lecture d’origine chinoise) des Kanji japonais qui, au lieu de refouler l’ancienne prononciation comme les Chinois, les ont ainsi superposées. Cela montre les limites de la liberté du Japon en tant que zone submarginale, puisqu’il a malgré tout été touché culturellement par les changements politiques chinois alors que les Chinois eux-mêmes se sont contentés de refouler à chaque changement politique ce qui caractérisait l’ancienne dynastie au pouvoir. Ainsi, le Japon est maintenant emmêlé dans la complexité de ses Kanji, complexité qui découle du principe même du « shintô » japonais, qui consiste à ne rien refouler et tout faire cohabiter.

    Comme autre exemple de l’adaptation typiquement japonaise d’un concept chinois, nous ne citerons, parmi tant d’autres, que l’application en réalité partielle du Confucianisme en tant qu’idéologie politique. En effet, si en Chine, le Confucianisme régissait l’ensemble de la vie du pays, au Japon, et ce, jusqu’à la Restauration Meiji, n’applique cette philosophie que dans l’organisation globale de l’Etat et dans les hautes sphères du pouvoir et de l’aristocratie. Ainsi, la vie du peuple ne ressent que très peu ce système. Il en résulte que, alors qu’en Chine, la société en était hautement patriarcale, au Japon, la société ancienne est dite jumelle, à savoir, ni patriarcale, ni matriarcale.

    Cette non-application systématique de l’administration chinoise a ainsi permis le développement d’une caractéristique dans la société japonaise qui différencie le Japon de ses voisins Orientaux et le rapproche du développement historique de l’Europe : la propriété privée. En effet, d’après Karl Wittfogel, au Japon, on voit très tôt beaucoup d’attributions de terres exemptes d’impôts à des fonctionnaires qui les rendent vite héréditaires. C’est la même chose qui se produit en Europe, marge de l’Empire romain démantelé. Ainsi, Karl Wittfogel montre que les zones submarginales, par leur non-application systématique de l’administration hydraulique, favorise le développement de la propriété privée. Or, d’après Marx, la propriété privée est l’élément clé pour renverser la « société asiatique » (ou hydraulique d’après le terme de Karl Wittfogel) et son Etat rigide.

    C’est donc par la position géopolitique submarginale du Japon qu’on peut expliquer qu’il soit le seul pays à avoir développé une féodalité de type relativement occidentale en Asie, ce qui a ensuite servi de base (qui manquait donc au reste de l’Asie) pour développer le capitalisme.

    De plus, Motoori Norinaga était un kogakusha 学者 ou fondateur des « études anciennes ». Il recherchait avant tout à définir non pas la spécificité du Japon mais ce qui est Japonais d’origine ou proprement Japonais, qui n’a pas été contaminé par l’influence chinoise. Ses successeurs ont modifié les objectifs de sa pensée pour fonder les kokugaku 国学 ou « études nationales » qui ont conduit à l’extrême nationalisme au niveau de l’Etat et de la société d’une part, et au développement des nihonjinron (日本人論) ou « discours sur la spécificité japonaise » d’autre part.

     

    III. L'affirmation d'un peuple important et le renversement des zones 

    Après avoir défini ce qui pourrait constituer la spécificité japonaise dans un sens très large, et après l’avoir recontextualisée, nous allons nous intéresser à la vision que les Japonais ont construite historiquement d’eux-mêmes dans ce cadre géopolitique.

     

    1. Dichotomie entre vision chinoise et vision japonaise des Japonais

    Dans son livre 「日本人とは何か」(« Qu’est-ce qu’être Japonais ? »), Katô Shûichi (加藤修一1947-) s’interroge sur l’origine des nihonjinron et sur le besoin qu’ont ressenti les Japonais de développer ce genre de discours. D’après lui, les Japonais se sont interrogés sur leur identité car, contrairement à la plupart des autres peuples sur Terre, il n’ont jamais pu lire une image d’eux-mêmes dans le regard d’un autre peuple. Il se base ici sur le fait que lire l’image de soi dans le regard d’un autre nécessite une relation réciproque en termes d’échanges et d’observation et estime qu’aucun peuples, ni les Chinois, ni les Européens pendant l’époque Meiji, n’ont eu de relations réciproques avec les Japonais. Cette affirmation nous semble pourtant devoir être corrigée.

    En effet, plutôt que de pouvoir lire aucune image d’eux-mêmes dans le regard des Chinois, les Japonais ont considéré que l’image que leur renvoyait ce peuple ne correspondait pas à celle qu’ils avaient d’eux-mêmes. Mais quelle était alors cette image qu’ils avaient d’eux-mêmes ? Eh bien celle d’un peuple unique (corroboré par le lignage relativement direct des Japonais anciens et modernes), héritier des dieux, dirigé par une dynastie d’ascendance directement divine (d’après la création du monde shintô), habitant une île protégée par les dieux (puisque personne n’avait réussi à la conquérir) et n’ayant jamais été soumis à un autre peuple. Rappelons ici que cette vision d’un peuple quasiment élu n’a pu être construite que grâce à la protection assurée par la péninsule coréenne, bien que les Japonais n'en avaient pas conscience. A cela répondait l’image qu’avait la Chine d’eux : celle d’un peuple tributaire culturellement, qui leur a payé un tribut au même titre que tous les autres pays tributaires pendant plusieurs siècles, bien que les archives chinoises qualifient le Japon de grand pays recevant le tribut de la Corée (daguo, taikoku 大国) et de « pays où règnent les rites et les devoirs » (liyiguo, reigi no kuni 礼儀国), ce qui signifiait pour eux « pays civilisé », mais rappelons que cette « civilisation » était le produit de l’importation des concepts chinois au Japon.

    C’est ainsi que le Japon s’est efforcé, tout au cours de son Histoire, d’imposer sa puissance et sa grandeur en tant que pays dynastique face à la Chine.

     

    2. Quelques exemples de tentatives d'affirmation de grandeur

    Cette affirmation de grandeur commence par la volonté du Japon de choisir soi-même le nom désignant le Japon et les Japonais. En effet, dès le IIIème siècle, des textes chinois font référence aux Japonais en utilisant le Kanji wa qui peut signifier « loin », « docile », « petit ». Cependant les Chinois sont connus à cette époque pour désigner les peuples qu’ils rencontrent par la première personne du singulier dans la langue autochtone et donc, par la façon dont eux-mêmes se désignent. Donc ce caractère n’est peut-être qu’une transcription phonétique de la première personne en japonais archaïque, mais on peut cependant s’interroger sur le choix du caractère parmi tous les caractères de même prononciation.

    En 607, Shôtoku Taishi (聖徳太子574-622) envoie des émissaires dans la Chine des Tang pour étudier leur système administratif. Ces émissaires portent une lettre écrite par lui à l’intention de l’impératrice chinoise (ou du régent) où il se désigne par le terme suivant : 日出天子ou « fils du ciel de l’endroit où le soleil se lève ». Il rejette ainsi le terme dequ’il remplace par une expression dont les prétentions sont très claires : Empereur du pays où le soleil se lève, il s’adresse à l’Empereur de l’Empire du Milieu. Mais cette appellation irrita les Tang et on revint pour un temps au terme de.

    Cependant, au début du VIIIème siècle, ce terme est remplacé par wa qui semble plus neutre, ce qui tend à confirmer que malgré tout, avait sans doute une connotation négative.

    Toujours au niveau de l’écriture, on peut noter que dans les deux premiers recueils historiques japonais, le Kojiki (古事記』) écrit en langue japonaise avait pour but de légitimer l’ascendance divine de l’Empereur auprès des Japonais eux-mêmes, le Nihonshoki (日本書紀』), rédigé en chinois et copiant la cosmogonie chinoise, avait pour but de légitimer cette ascendance divine auprès du gouvernement chinois.

    De plus, une étude systématique des archives chinoises et japonaises à propos des ambassades japonaises en Chine aux VIIIème et IXème siècles effectuée par Charlotte von Verschuer a révélé que le but de ces ambassades avait avant tout pour but de faire reconnaître la position du Japon en tant que pays civilisé par l’Empire chinois et par les coréens, beaucoup plus que de perfectionner sa connaissance de la civilisation chinoise car ce perfectionnement se faisait plutôt par le biais des importations d’ouvrages et par les voyages des moines. Charlotte von Verschuer note cependant une position ambiguë du Japon qui, en 753, réclame que le Japon soit placé sur la première rangée des pays tributaires, devant la Corée. Il réclame ainsi une position haute, mais seulement en tant que pays tributaire.

    Cependant, cette étude montre aussi que le Japon a fini par ne plus respecter certaines parties du protocole des ambassades. En effet, l’Empereur du Japon n’a bientôt plus adressé de lettre à l’Empereur chinois comme le voulait le protocole de ambassades, mais cela semble avoir été toléré, ce qui a pu maintenir le Japon dans sa pensée de ne pas être au même rang que les autres pays tributaires.

    Alors que Motoori Norinaga cherchait à retrouver ce qui correspond à un esprit japonais non contaminé par l'esprit chinois, ses successeurs, à travers les Etudes Nationales, ont détourné sa pensée pour la diriger dans la continuité de cette façon de penser japonaise ancestrale : le Japon est à l'égale de la Chine, si ce n'est plus, puisque c'est un pays et un peuple élus par les dieux. Par la suite, Maruyama a identifié la spécificité japonaise comme étant plutôt un système de pensée dénuée d'orthodoxie, le « shintô », idée reprise par Karatani, Si la situation géopolitique submarginale du Japon explique sa spécificité en tant que « shintô », c'est aussi elle, à travers le rôle de la Corée comme zone marginale, qui a permis aux Japonais anciens, aux Etudes Nationales et aux nihonjinron de développer une telle pensée d'unicité et de supériorité du peuple japonais.

     

    3. Meiji et le pseudo-renversement des zones 

     Avec l’ouverture forcée du Japon par les pays occidentaux, le Japon entre dans une nouvelle phase de son développement. En effet, c’est grâce à l’observation du sort peu enviable qu’avait réservé l’Occident à la Chine, centre puissant de l’Asie Orientale, que le Japon décide de se rattraper son retard sur les pays d’Occident pour devenir leur égal afin de ne pas être colonisé. On peut noter principalement deux aspects de ce renversement de la situation du Japon : premièrement, le Japon va enfin s’octroyer la place qu’il pense mériter dans sa zone géographique et deuxièmement, c’est à bien des égards grâce à la Chine que ce dynamisme a pu être possible.

    En l’espace de quelques dizaines d’années, le Japon a rattrapé presque tout son retard sur l’Occident. Par exemple, la constitution de l’Etat-Nation japonais est contemporaine de celle de la plupart des pays importants d’Europe, hormis le Royaume-Uni et la France, alors qu’il devance de très loin les autres pays d’Asie. Afin de devenir un pays considéré par les Occidentaux comme un égal et non un pays à civiliser, le Japon applique une politique forte, dont le slogan est fukokukyôkei 富国強兵 (« pays riche, armée forte »). Il devient ainsi une puissance militaire et économique, qui lui permet de prétendre, dans les mentalités de l’époque, à un rang de pays colonisateur. C’est ainsi que pendant la première moitié du XXème siècle, le Japon va tenter, et y réussir partiellement, de coloniser la Corée et la Chine. On voit ainsi s’opérer un renversement des zones, où la Corée devient sa zone marginale (zone très contrôlée par le Japon), et les provinces de Chine colonisées sa zone submarginale, avec la volonté de les gérer plutôt comme protectorats. De plus, on a vu précédemment (II.3) que le Japon, en tant que zone submarginale, était un pays propice au développement du capitalisme, grâce au développement précoce de la propriété privée avec l’installation d’un système féodal proche de celui développé en Occident. Ainsi, le Japon n’a eu aucun mal après son ouverture à entrer dans l’économie capitaliste qui se développait en Europe et aux Etats-Unis.

    C’est ainsi que le Japon est devenu un modèle pour le développement de la Chine, ce qui confirme le renversement des zones. On peut cependant apporter quelques limites à ce développement fulgurant. Tout d’abord, nous avons déjà dit que c’est parce que la Chine, centre figé dans son système ancien, avait été ravagée par l’Occident que le Japon avait décidé de prendre les devants et de se moderniser. De plus, ce développement a été possible grâce à la position géopolitique du Japon en tant que zone submarginale, propice à un développement foisonnant et échappant à la rigidité du centre, rigidité qui a mené à l’effondrement de l’Empire du Milieu au XIXème siècle. Ainsi, on constate encore une fois que le développement unique du Japon (dans sa zone) ne peut s’expliquer par sa propre Histoire seule mais par un ensemble de facteurs géopolitiques.

    Notons enfin que, d’une certaine manière, ce développement rapide a été possible grâce l’influence de la Chine, dans la mesure où, si le Japon a pu s’adapter aussi rapidement aux concepts occidentaux et aux langues occidentales, c’est parce qu’il avait déjà dans son Histoire une expérience similaire : la première sinisation, au Vème siècle (II.1). De plus, et c’est parfaitement paradoxal, l’occidentalisation du Japon s’est en fait réalisée à travers une seconde sinisation massive, puisque les concepts occidentaux ont été importés au Japon et transcrits en Kanji. C’est donc encore une fois en utilisant la tradition d’utilisation des concepts chinois que le Japon a aligné sa pensée sur l’Occident, en créant toutes sortes de mots, tels que ren.ai 恋愛(l’amour), jiyû 自由(la liberté), jibun 自分(« je » (français), « ich » (allemand), soi-même)… Ces concepts transcrits en Kanji ont d’ailleurs été ensuite introduits en Chine par les étudiants chinois venus étudier le développement du Japon.

    De plus, l’occidentalisation du Japon a été rendue possible par la première adoption systématique du Confucianisme chinois, à travers par exemple le Code civil. C’est par cette systématisation du Confucianisme à toutes les couches de la société que le Japon est devenu une société patriarcale. Tout cela montre la complexité des influences entre Chine et Japon à cette époque.

     

    Conclusion

    Le Japon possède donc indéniablement une particularité, celle d’assimiler tout ce qui lui vient de l’extérieur sans rien refouler et de tout faire cohabiter dans son système de pensée. Au XVIIIème siècle, Motoori Norinaga avait identifié cette particularité dans le système d’écriture japonais. Au XXème siècle, Maruyama Masao a appelé cette particularité « shintô ». La pensée de Motoori Norinaga a ensuite malheureusement servi de base au développement des Etudes Nationales et du nationalisme japonais qui a amené ce pays à devenir une puissance coloniale, ainsi qu’au développement d’un nouveau style de textes de pensée japonaise, les Discours sur la spécificité japonaise, bien que ces derniers reprenaient en réalité plus le sentiment subjectif d'exceptionalité et de supériorité ressenti par les Japonais au vu de leur Histoire mythologique et réelle, que les travaux de Motoori.

    Le principal problème relevé ensuite par Karatani Kôjin à propos de cette particularité, c’est que tous les discours créés après Motoori Norinaga cherchaient son origine dans l’Histoire du Japon, sans se soucier de sa situation par rapport au reste du monde : les nationalistes insistaient sur l’ascendance divine de l’Empereur, Maruyama Masao a déduit son « shintô » de l’étude des couches les plus anciennes de l’Histoire du Japon… Karatani ne remet pas en question la nature de cette spécificité japonaise, mais bien les moyens par lesquels on a essayé de la définir et de l’expliquer. Ainsi, il introduit la notion géopolitique, basée sur la théorie de Karl Wittfogel, et insiste particulièrement sur le rôle de la Corée. En effet, que ce soit le « shintô » ou le sentiment de supériorité des Japonais, la particularité japonaise découle en fait, non pas uniquement de l'Histoire interne du pays ou d'une particularité intrinsèque du peuple japonais, mais de sa situation géopolitique en Asie Extrème-Orientale en tant que zone submarginale de l'Empire chinois séparée de celui-ci par la zone marginale coréenne. Si on suit ce raisonnement, on comprend bien la volonté de Karatani d’abolir les nihonjinron qui utilisent la spécificité japonaise actuelle pour essayer de définir une spécificité japonaise atemporelle, alors qu’il lui donne par ce raisonnement même une origine temporelle.

    Il semblerait donc que ce qui a permis le développement de la spécificité japonaise comme étant la capacité de ce peuple d’évoluer grâce aux systèmes importés sans en devenir dépendants et sans avoir besoin de refouler leur ancien système, mais aussi comme étant sa façon de se considérer par rapport au centre qui a conduit au besoin de l’élaboration des nihonjinron n’est pas tant dû à l’insularité du pays qu’à la résistance coréenne massive aux tentatives d’invasions. Bien sûr, les Coréens ne défendaient pas le Japon, mais bien leur propre peuple et leur propre culture, et paradoxalement, c’est bien le manque de barrière naturelle – une mer, par exemple – et donc, leur trop grande proximité avec le centre qui a forcé leur « castration », c'est-à-dire, l’intégration d’un système étranger par refoulement de leur système déjà existant.

    Cette situation géopolitique a cependant été bouleversée avec l’importance nouvelle des Etats-Unis, à partir de la Seconde guerre mondiale, et la mondialisation, depuis la chute de l’URSS. En effet, la mondialisation a fait éclater les zones en 3 parties définies par Karl Wittfogel. Par exemple, pour le cas du Japon, on peut maintenant le considérer comme étant une marge des Etats-Unis depuis la Seconde guerre mondiale, tout en servant de nouveau centre dynamique pour la zone de l’Asie Orientale, alors que récemment, le développement de la Chine pourrait venir rétablir l’ancienne disposition des zones en redevenant le centre de l’Asie Orientale.

     

     

    Bibliographie

     

    1. Usuels

    デジタル大辞泉、逆引き倹索対応、小学館:

    - 「呉音」

    - 「漢音」

    Encyclopaedia Universalis 7 :

    • « Aïnous » par Vadime Elisseeff

    • « Féodalité » par Georges Duby

    • « Japon (le territoire et les hommes) Histoire » par Paul Akamatsu, Vadime Elisseeff et Valérie Niquet

    • « Royaume-Uni Histoire » par Bertrand Lemonnier et Roland Marx

     

    2. Ouvrages

    ELISSEEFF, Danielle, Histoire du Japon : entre Chine et Pacifique, Ed. du Rocher, Monaco, 2001

    加藤周一 (KATÔ, Shûichi), 「日本人とは何か」, SIL, 1976 (extrait)

    VON VERSCHUER, Charlotte, Les relations officielles du Japon avec la Chine aux VIIIe et IXe siècles, Librairie Droz, Genève, 1985

    WITTFOGEL, Karl, Le despotisme oriental : étude comparative du pouvoir total, Les Editions de minuit, Paris, 1964

     

    3. Articles

    KARATANI, Kôjin, « Nihonseishinbunseki.saikô » (La psychanalyse du Japon), Bungakukai, nov.1997, pp. 158 à 177

     

    Pour aller plus loin :

    - dossier sur le système d'écriture japonais unique au monde, à la fois conséquence et cause de la spécificité japonaise : Le système d'écriture japonais [dossier]

     

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  • Extrait de mon mémoire de Master Etudes Japonaises "Le tourisme japonais au Mont-Saint-Michel : étude croisée des représentations respectives des touristes japonais et des acteurs locaux".

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    Une caractéristique des touristes japonais est qu'ils achètent beaucoup de souvenirs. Il est en effet coutume de ramener des souvenirs à sa famille, mais aussi à tous ses collègues de bureau, comme une sorte de dédommagement de la gêne occasionnée par son absence au travail. Ces cadeaux de voyage, appelés o-miyage お土産 s'inscrivent dans un système de don contre-don plus large, mais aussi dans une politique économique de consommation.

    La vie japonaise est ponctuée de cadeaux reçus et offerts. En 1973, on a estimé le budget consacré aux cadeaux à 4000¥ par mois et par foyer. Plus de 60% des petits objets de décoration que l'on trouve dans les maisons japonaises seraient des cadeaux de personnes extérieures au foyer.

    On peut classer ces cadeaux en trois catégories :

      • cadeaux pour des événements occasionnés par le cours de la vie humaine : félicitations de naissance (出産祝い shussan-iwai) , félicitations de mariage (結婚祝い kekkon-iwai), cadeau funéraire (香典 kôden), souvenirs de voyage (o-miyage), etc ;

      • cadeaux périodiques ponctuant l'année à des moments précis : cadeau de la mi-année (中元chûgen), cadeau de fin d'année (歳暮 seibo), étrennes (お年玉 o-toshidama), cadeau de sympathie pour les grosses chaleurs d'été (暑中見舞い shochû mimai), etc ;

      • Les cadeaux de retour (réponse à un cadeau dans le cadre du don contre-don ; il s'agit de rendre, sous la forme d'un objet, un pourcentage fixe de la somme reçue) : contre-don funéraire (香典返し kôden-gaeshi), contre-don de mariage (結婚式引き出物 kekkon-shiki hikide-mono), etc. (Cobbi, 1993 : 104-107).

    Les souvenirs de voyage entrent donc dans la première catégorie et sont les cadeaux offerts et reçus en plus grand nombre. Contrairement aux Français, qui ont tendance à ramener moins de souvenirs mais essaient de personnaliser chaque souvenir en fonction de son destinataire, les o-miyage ne sont pas particulièrement personnalisé, ce qui explique que tous les foyers japonais regorgent des mêmes bibelots. D'une manière générale, plusieurs petits cadeaux sont plus appréciés qu'un gros cadeau, et un soin particulier est apporté à l'emballage.

    Cependant, la tradition ancienne des cadeaux encore très en vogue au Japon a en fait été réactivée par les industriels pendant le lancement de la croissance économique japonaise pour stimuler la consommation. Pendant les années 1960, avec les débuts de la société de consommation, s'instaure un véritable marché du cadeau, très vite soutenu par la création de rayons « cadeaux » dans les grands magasins. Par exemple, le chûgen était à l'origine offert lors de la fête d'O-bon, fête pendant laquelle on visitait sa parentèle, et on se sentait donc obligé d'apporter quelque chose ; à l'heure actuelle, les visites pendant la semaine d'O-bon se font beaucoup moins nombreuses, donc ce phénomène aurait dû s'atténuer ; mais encouragé par les industriels et les distributeurs à grand coup de publicité, cette tradition devenue désuète est revenue au goût du jour.

    Si les cadeaux sont peu personnalisés, ils subissent les effets de la mode. Par exemple, le thé noir (appelé thé rouge au Japon) est symbole de faste (couleur rouge, contrairement au thé vert offert comme contre-don funéraire) ; il est donc tout indiqué comme cadeau de visite ou souvenir de voyage. Ainsi, dans les années 1980, une grande marque française a vu ses ventes de thé à la pomme exploser car il était devenu subitement célèbre au Japon et était réclamé comme souvenir de Paris. Pour les souvenirs de voyage japonais, ce n'est donc pas tant le fait qu'il soit adapté à la personne qui le reçoit ou qu'il soit représentatif du lieu visité qui importe, mais qu'il soit en vogue. Les spécialités locales (déjà très consommées pendant l'époque d'Edo) font aussi de très bons o-miyage.

     

    Bibliographie

    COBBI Jane (1993), « L'échange des cadeaux au Japon », in COBBI Jane (dir.), Pratiques et représentations sociales des Japonais, Paris, Editions l'Harmattan, pp.103-116.

    COBBI Jane (1993), « Le marché du cadeau », in COBBI Jane (dir.), Pratiques et représentations sociales des Japonais, Paris, Editions l'Harmattan, pp.151-153.

     

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  • Extrait de mon mémoire de Master Etudes Japonaises "Le tourisme japonais au Mont-Saint-Michel : étude croisée des représentations respectives des touristes japonais et des acteurs locaux".

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    En Europe, les premières représentations du Japon et des Japonais remontent au XVIe siècle, époque à laquelle des jésuites portugais évangélisent le Japon et en rapportent des journaux de voyages. Le plus connu est celui de Luís Fróis (1585) dans lequel il consigne des remarques sur le Japon et les Japonais. Cet ouvrage est en fait une liste de comparaisons entre Européens et Japonais qui sont toujours basées sur le principe d'opposition dans les pratiques des ressortissants de ces deux zones géographiques éloignées et dont voici quelques exemples (Fróis ,1585, éd. 1998 : 23-27):

    « Celles d'Europe ont des mantes noires et très longues ; les nobles japonaises en ont de courtes et de soie blanche. »

    « En Europe, les hommes vont devant et les femmes derrière ; au Japon, les hommes vont derrière et les femmes devant. »

    « Chez nous, selon leur naturel corrompu, ce sont les hommes qui répudient leurs épouses ; au Japon, ce sont souvent les femmes qui répudient leurs maris. »

    « En Europe, l'enfermement des jeunes filles et demoiselles est constant et très rigoureux ; au Japon, les filles vont seules là où elles le veulent, pour une ou plusieurs journées, sans avoir de comptes à rendre à leurs parents. »

    « En Europe, après la naissance, tuer l'enfant est une chose rare qui ne se fait pratiquement jamais ; les Japonaises leur écrasent un pied sur le cou, tuant ainsi presque tous ceux qu'elles pensent ne pouvoir nourrir. »

    Cette dernière citation illustre bien le ton détaché de description qu'il emploie. Pour un jésuite, il paraît étonnant que son journal ne regorge pas de remarques de morale. C'est que le Japon, dès le début et déjà à cette époque, est un pays exotique. C'est le pays le plus éloigné de l'Occident en Orient et il est associé à la notion d'antipodes. Les Japonais sont l'exacte inverse des Européens, puisqu'ils sont aux antipodes. Leurs comportements, qui seraient inadmissibles en Europe, sont vus par un regard détaché et fasciné par cette opposition totale. Partant de là, les Européens ont pendant longtemps cherché dans le Japon de l'exotisme, ne relevant que ce qui diffère de l'Occident.

    La fermeture du Japon pendant l'époque d' « Edo » (1603-1867) a fait que peu de nouvelles représentations du Japon ont germé en Europe, faute de sources. Mais l'ouverture du Japon en 1868 a eu lieu dans un contexte particulier : d'une part, en pleine époque coloniale, les puissances occidentales étaient en train de coloniser, un à un, les pays asiatiques voisins du Japon, ce à quoi le Japon a cherché à éviter à tout prix en se hissant rapidement au rang de puissance occidentale, et d'autre part, le XIXe siècle est le siècle de l'orientalisme en Europe : des peintres européens, tels que Delacroix et Ingres ont découvert l'Orient – à savoir, le Maghreb et le Proche-Orient –, y ont découvert une culture différente, et surtout des couleurs, des formes, des lumières différentes ce qui leur a permis de renouveler leur peinture. Cependant, l'orientalisme, tel qu'il est défini par Edward Said dans son ouvrage éponyme en 1978, est une forme de discours sur une culture étrangère qui consiste à ne la considérer que sous un aspect esthétique. Seul l'esprit esthétique différent des peuples orientaux et la beauté des lieux d'Orient compte. Cela a donc eu l'effet pervers de mettre ces peuples « orientaux » dans le panier des peuples dit « inférieurs » que la colonisation européenne allait sauver. Autrement dit, l'Orient a été « orientalisé » par les Occidentaux : afin de se complaire dans des découvertes esthétiques, les Occidentaux ont créé un opposé, l'Orient, privé d'intellect ou de morale, et où seule l'esthétique existe, d'où le sous-titre français de l'ouvrage de Said : « L'Orient créé par l'Occident ».

    La civilisation japonaise a fait son entrée en Europe dans ce contexte d'orientalisme. Avec l'ouverture du Japon, le marché d'art européen est inondé d'objets d'art japonais tels que les estampes, les céramiques, les paravents. Les peintres européens, notamment les impressionnistes, sont fascinés par l'art japonais et par la vision des artistes japonais : ils découvrent un univers artistique sans perspective, dans lequel ils trouvent une solution à la peinture occidentale qui stagnait. Mais comme le Japon est considéré comme esthétique, il ne peut être rien d'autre. Il devient donc oriental, ce qui ne fait que donner suite aux représentations passées : on cherche dans le Japon ce que l'on n'a pas chez soi. Par exemple, Zola accrochait des 春画 shunga « estampes érotiques » qu'il nommait « fornications furieuses » (Wilkinson, 1994 : 152), dans son escalier. Parce qu'elles étaient japonaises, ces estampes étaient exotiques et d'un goût esthétique certain, alors qu'une lithographie similaire signée par un Français, œuvre pornographique emprunte de vice, n'aurait jamais pu être accrochée au même endroit.

    En 1906, le journaliste André Cheradam écrivait : « Avant la guerre [russo-japonaise], hormis pour un nombre limité de spécialistes et d'érudits qui se tenaient informés par leurs voyages et par des ouvrages sérieux (rarement lus), ce que nous savions avant tout du Japon, nous les Français, c'est que c'était le pays de Madame Chrysanthème » (Wilkinson, 1994 : 157). Madame Chrysanthème est un roman autobiographique écrit par un marin-écrivain, Pierre Loti, en 1887, dans lequel il raconte son été passé en escale à Nagasaki, où, comme beaucoup d'officiers français, il s'est marié, le temps d'un été, avec un japonaise, Chrysanthème. Si le roman ne comporte pas d'intrigue, les Japonais que dépeint Pierre Loti sont inférieurs, petits, puérils, décadents, dangereux, contradictoires, pleins de duplicité. D'après E. Wilkinson (1994 : 157), Pierre Loti projetait sur les Japonais tout ce qu'il détestait chez lui-même et chez les autres. Il trouve les Japonais très peu dignes d'intérêt, très différents des « nobles sauvages » authentiques qu'il avait rencontrés à Tahiti. Le livre a eu un franc succès à son époque, et a visiblement servi pendant longtemps de vecteur majeur de représentation sur le Japon et les Japonais. Les Japonais étant inintéressants, le Japon est resté le pays de l'art et de l'exotisme caractérisé par l'absence de morale. Pierre Loti compare les Japonais à des singes, et c'est l'effet qu'ils ont fait sur d'autres Occidentaux. En effet, avides de s'occidentaliser pour éviter d'être colonisés, les Japonais ont importé en masse les savoirs et les habitudes des Occidentaux, y compris les habitudes vestimentaires. Les Occidentaux se moquaient alors des Japonais qui portaient le haut-de-forme sur le kimono pour montrer qu'ils savaient se montrer civilisés.

    André Cheradam précise que cela était vrai avant la guerre russo-japonaise (1904-5). Mais le Japon, en gagnant cette guerre, en vainquant une puissance occidentale, entame son ascension qui le mènera finalement au rang de deuxième puissance économique mondiale, derrière les États-Unis et devant l'Union Européenne. L'idée d'un Japon puissant reste cependant une idée assez vague, car jusqu'à l'attaque de Pearl Harbor, le général McArthur lui-même doutait encore que les Japonais puissent piloter des avions ou tirer juste. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le Japonais passe de sauvage exotique et puéril à sauvage cruel. Puis, avec la croissance économique fulgurante du Japon après la guerre, le Japonais, qui passe de sauvage exotique à concurrent en affaires, devient dangereux. Avide de rattraper son retard, nous avons vu que le Japon n'a pas hésité à augmenter le temps de travail et à refuser de le réduire quand les puissances occidentales ont commencé à changer d'état d'esprit. Dans le prolongement de la représentation du Japonais contradictoire et plein de duplicité de Pierre Loti, le Japonais devient déloyal en affaires dans les yeux des Européens dans les années 1960, d'autant plus qu'il massacre les dauphins et chasse encore la baleine, puis dans les années 1970, il devient un modèle à suivre pour réussir en économie. Les Occidentaux décortiquent alors les modes de production japonais, oubliant au passage que le Japon les avait importés d'Occident quelques décennies auparavant.

    Si en 1984, 60% des Français interrogés par Le Monde et Asahi Shinbun étaient incapables de situer le Japon sur une carte du monde (Wilkinson, 1994 : 199), ce n'est plus le cas des jeunes générations françaises, puisque le Japon, en tant qu'un des pôles de la Triade économique, était jusqu'à peu au programme de géographie de collège et de lycée. Le Japon jouit donc désormais d'une représentation de pays moderne, à la pointe du développement économique et technologique, fief des jeux vidéos, des manga1 et des anime2, culture populaire japonaise arrivée en Europe dans les années 1970 et qui ne cesse de croître en popularité. Mais le Japon n'a pas perdu son image de pays esthétique pour autant. On le qualifie souvent de « entre tradition et modernité »3 et c'est ce qui attire les Européens : un monde dans lequel ils ne pourraient, pour la plupart, pas vivre (trop stressant, trop étrange, etc), mais qui réalise l'union parfaite et utopique entre ce qu'il y a de plus intéressant dans le passé et dans le présent, un monde esthétique de fantasme.

    E. Wilkinson (1994 : 199) résume ainsi les représentations sociales européennes du Japon :

    Si vous demandez à l'homme de la rue ce que le Japon évoque pour lui, il vous fera probablement, selon son âge, un tableau confus mêlant cerisiers en fleurs et navetteurs, geishas et vendeurs d'électronique, managers modèles et guerriers des affaires. […] une combinaison d'images esthétiques et d'images de monstruosité surpeuplée et polluée […] Il sera convaincu que les Japonais travaillent trop dur, ne sont pas assez payés et qu'ils font une concurrence déloyale au niveau du commerce international. D'un autre côté, il admirera leurs techniques de gestion et leur technologie.

    Il ajoute (Ibid : 136) que l'image du Japon « à l'envers » est encore tellement présente, que les Européens sont souvent déçus en arrivant à Tôkyô ou Ôsaka car ces villes leur paraissent trop familières ; c'est pourquoi ils vont à Kyôtô pour se rassurer, car ils y trouvent les temples zen et les geishas de leurs représentations fantasmées en Europe. Quand ils rentrent, ils ont d'autant plus cette image de contraste entre modernité (Tôkyô) et tradition (Kyôtô).

    Nous voyons donc que les représentations sociales du Japon chez les Français sont en grande partie définies par les premières représentations du pays, remontant au XVIe siècle.

     

    Notes :

    1Au singulier car nous l'employons ici en tant que mot japonais qui est donc invariable.

    2Prononcer « animé ». Ce mot est un terme japonais アニメ anime et désigne les dessins animés japonais.

    3Qui était par exemple le thème du festival Animasia de Pessac (33) en 2012.

     

    Bibliographie : 

    FROIS Luis (1585, edition 1998), Européens et Japonais : Traité sur les contradictions et différences de moeurs, Paris, Editions Chandeigne, p.23-27.

    LOTI Pierre (1887, edition 1990), Madame Chrysanthème, Paris, Flammarion.

    WILKINSON Endymion (1992), Le Japon face a l'Occident : images et réalités, Bruxelles, Editions Complexe.

     

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  • Il est vrai que le pays où les gens marchent sur la tête, dans l'imaginaire des Français, est plutôt la Chine, mais je trouve l'image assez représentative des premières représentations européennes du Japon. J'ai déjà traité ce sujet dans un article extrait de mon mémoire de Master (Histoire des représentations sociale du Japon et des Japonais chez les Occidentaux), à savoir, en bref, que le Japon est le pays des antipodes et que les Japonais font tout à l'envers, mais je voulais compléter celui-ci avec quelques exemples (non exhaustifs, bien sûr ! ) de choses que les Japonais font à l'envers des Français et des Occidentaux :

    - les Japonais conduisent à gauche.

    - traditionnellement, le Japonais s'écrit de haut en bas en allant de droite à gauche (même si on peut aussi l'écrire horizontalement de gauche à droite, comme le français). Les livres s'ouvrent et se lisent donc à l'envers.

    - en langue japonaise, l'information principale vient toujours à la fin (ex : le verbe, la négation, le nom déterminé par une subordonnée...) et le sujet n'est pas obligatoire dans la phrase.

    - les Japonaises veulent garder la peau pâle et se couvrent entièrement en été (elles portent de grands chapeaux et des mitaines qui remontent presque jusqu'aux manches du T-shirt).

    - dans les toilettes traditionnelles japonaises (qui ressemblent un peu au système de toilettes à la turque), on s'assoit dos à la porte. Il semblerait que les Occidentaux se trompent parfois de sens (et les Japonais en Occident) (cf. 『日本人の知らない日本語4』p.95).

    - lors de la correction d'un devoir, les professeurs japonais marquent les bonnes réponses d'un rond (maru) et le signe "check" est utilisé pour signaler les mauvaises réponses.

     

    --------> Bonus spécial geek :

    - du fait même du point précédent, sur les consoles japonaises, les fonctions des boutons "croix" et "rond" sont inversées. "rond" sert à valider alors que "croix" sert à annuler ! (cf. 『日本人の知らない日本語1』p.51)

     

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  • Comme je viens juste de réussir l'examen de conférencière de l'abbaye du Mont Saint-Michel (やった!!!Yatta !!!)...

    yatta ! gôkaku !

    ... je vais revenir brièvement sur les manières japonaises de notifier, voire féliciter, une bonne réponse. (n'ayant jamais été ou étudié au Japon, je m'appuie uniquement sur un peu de lecture et une recherche d'images google)

    J'avais déjà évoqué dans cet article un fait qui doit en dérouter plus d'un lorsqu'il étudie au Japon : les bonnes réponses sont indiquées par un rond, alors que les mauvaises réponses sont indiquées par un "check". Autant dire que sur votre première copie, soit vous êtes content d'avoir beaucoup de "checks" et vous allez en fait au rattrapage, soit vous pensez avoir zéro à toutes les questions alors que vous avez fait carton plein ! (ce qui s'appelle 満点 manten, 満 : plein, satisfaire, regorger... 点 : point = maximum).

     

     ***

     

    Il y a une autre coutume qui peut surprendre un peu... il arrive que les professeurs dessinent une fleur en gros sur la copie... comme ceci :

     

    hana maru test 1

     

     

    hana maru test 2

     

     

    hana maru test 3

    Eh bien a priori, c'est plutôt bon signe !

     

    Cela s'appelle 花丸hana-maru, ou "rond-fleur" et je m'avance peut-être un peu, mais on peut facilement supposer que si le rond est signe de bonne réponse, un rond-fleur est signe d'une très bonne réponse...

    En poussant la recherche d'images, je suis tombée sur plusieurs choses de ce genre-ci :

     

    hana maru évolution

     

    Ce qui semble confirmer mon hypothèse précédente.

     

    - Nous avons d'abord le simple rond dans lequel est inscrit : もっともっとがんばりましょう motto motto ganbarimashô : encore beaucoup d'efforts !

    - Puis, le rond amélioré, la spirale : もうすこしがんばりましょう mô sukoshi ganbarimashô : encore un petit effort.

    - Puis, la fleur : がんばりました ganbarimashita : tu as travaillé dur / c'est pas mal.

    - Puis, la fleur au coeur de début de spirale : よくできました yoku dekimashita : tu as bien réussi !

    - Puis, la fleur au beau coeur de spirale : とてもよくできました totemo yoku dekimashita : tu as très bien réussi !

    - Puis, la fleur au beau coeur de spirale et à double volée de pétales : たいへんよくできました taihen yoku dekimashita : tu as très très bien réussi !

    (désolée pour mes traductions très très bof, mais comme ça, vous le saurez, la traduction et moi, ça fait 15...)

    Enfin bref, plus la fleur a de pétales et plus elle est belle, mieux c'est ! (je suppose cependant que cette pratique concerne surtout les écoliers)

     

     ***

     

    Revenons un instant sur la première image de l'article où l'on voit apparaître le mot 合格 gôkaku : il signifie "admission, succès". Il peut être apposé via un tampon :

     

    tampon gôkaku 1

    Un beau tampon japonais rouge, comme on les aime ^^

     

    tampon gôkaku 2

    En version hana-maru...

    tampon gôkaku 5

    En version kawaii...

     

    tampon gôkaku 6

    Une version kawaii plus sophistiquée...

     

    Pour féliciter quelqu'un qui a été admis à un examen, on emploie donc la formule 合格おめでとうございます gôkaku omedetô gozaimasu.

     

    Et pour finir sur une autre image kawaii, les "admis" sont appelés les 合格者 gôkakusha.

    C'est bientôt les exams... Je vous souhaite tous d'être des 合格者 !

     

    gôkakusha

     

    皆さん、試験に受かるために頑張ってください...ね!

     

    *****

     

    Sources images :

    [source image 1]

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  • Je n'écoute pas beaucoup de musique japonaise, mais il y a quelques chansons que j'aime bien. Cela faisait longtemps que je voulais m'atteler à la lecture approfondie des paroles de cette chanson, et j'ai réussi à me motiver en me donnant pour objectif d'en faire un article (c'est d'ailleurs un peu pour me motiver à continuer à faire des recherches régulièrement que j'ai créé ce blog... comme quoi, ça marche plutôt bien !)

    Bon, il faut quand même préciser que j'ai horreur de l'exercice de traduction et que je ne suis vraiment pas douée. Ma traduction s'appuie sur ces 3 traductions : kotoba-factorynautiljon et jpopasia. Il faut dire qu'en plus de la mélodie, ce qui me plaisait beaucoup au début dans cette chansons, c'est que certaines phrases sont très simples à comprendre, notamment les deux premiers couplets. Mais après, ça se complique un peu...

     

    *****

     

    雨のオーケストラ

    ムック (MUCC)

    Ame no orchestra - "L'orchestre de la pluie", par Mucc

     

     

    真白なノートペンを走らせ
    君との思い出を書き始める
    窓の外はあの日のように
    昨日から降り止まない雨
    いつまでも繰り返し窓を叩く

    ポツリ ポツリ ひとつ ふたつ
    静かに振り出した窓の外
    天気予報どおりの雨
    君は傘を持って出掛けたかな?

    「さよなら今日の日」を幾重も重ねる
    空を見上げれば光の粒
    ありふれた日常 残響のオーケストラ
    雨が奏でた

    罪人の行き交う街の中で
    迷わず君を見つけられる
    葉桜を濡らす初夏の雨、
    君が来るのを待ってる僕
    濡れてしぼんだネコ 君に重ねて

    紫陽花みたいだね
    鮮やかに咲く街並みの傘
    真赤なビニール傘 君の横顔赤く染めた

    木陰の鳥達 空を待ちわびてる
    生憎僕はこの雨、嫌じゃない
    傘を一つたたんで小さな僕の傘に
    君を招いて

    凛とした空気は堰を切った
    指先が軽く触れ合う距離
    今日の君は髪を結い上げ、
    昨日よりも大人に見えた
    ありふれた日常 染まってゆけ

    雨は止み机にペンをおいた。
    空はいつしか流れ始めた
    僕が君についていた嘘、
    きっと君は知ってたよね。初めから。

    僕らの失敗は雨に流れ、
    やがて僕達も押し流した
    君が描く幸せの絵に僕の姿は見当たらない
    その目に映っていた僕は
    罪人行き交う街の中で
    迷わずに君を見つけられた
    葉桜を濡らす初夏の雨、
    いない君を探してる僕
    目を閉じ 風の香に君を映し

     

    (source)

     

     *****

     

    masshiro na nootopen o hashirase kimi to no omoide o kaki hajimeru
    mado no soto wa ano hi no you ni kinou kara furiyamanai ame
    itsu made mo kurikaeshi, mado o tataku

    potsuri, potsuri, hitotsu, futatsu
    shizuka ni furidashita mado no soto
    tenki yohou douri no ame, kimi wa kasa o motte dekaketa kana?

    "sayonara kyou no hi" o ikue o kasaneru
    sora o miagareba hikari no tsubu
    arifureta nichijou, zankyou no ookesutora, ame ga kanadeta

    tsumibito no ikikau machi no naka de mayowazu ni kimi o mitsukerareru
    hazakura o nurasu shoka no ame, kimi ga kuru no o matteru boku
    nurete shibonda neko, kimi ni kasanete

    ajisai mitai da ne
    azayaka ni saku machinami no kasa
    makka na biniiru kasa, kimi no yokogao, akaku someta

    kokage no tori-tachi, sora o machiwabiteru
    ainiku boku wa kono ame, iya ja nai
    kasa o hitotsu tatande chisa na boku no kasa ni kimi o maneite

    rin to shita kuuki wa seki o kitta, yubisaki ga karuku fureau kyori
    kyou no kimi wa kami o yuiage, kinou yori mo otona ni mieta
    arifureta nichijou, somatte yuke

    ame wa yami tsukue ni pen o oita. sora wa itsu shika nagare hajimeta
    boku ga kimi ni tsuiteita uso, kitto kimi wa shitteita yo ne. hajime kara.

    boku-ra no shippai wa ame ni nagare, yagate boku-tachi o oshinagashita
    kimi ga egaku shiawase no e ni boku no sugata wa miataranai

    sono me ni utsutteita boku wa
    tsumibito yukikau machi no naka de mayowazu ni kimi o mitsukerareta
    hazakura o nurasu shoka no ame, inai kimi o sagashiteru boku
    me o toji, kaze no kou ni kimi o utsushi hitomi

     

    (source)

     

    *****

     

    Sur une page blanche, je fais courir mon stylo

    Et je commence à écrire les souvenirs que j’ai avec toi

    Dehors, tout comme ce fameux jour,

    La pluie tombe sans arrêt depuis hier

    Elle frappe la fenêtre encore et toujours

     

    Ploc, ploc, une goutte, puis une autre

    La fenêtre s'est mise à trembler légèrement

    Sous cette pluie prévue par la météo

    Je me demande si tu as pris ton parapluie en sortant...

     

    Encore un « jour auquel je dis au revoir » (comme dans la chanson)

    En levant les yeux au ciel, je vois des grains de lumière

    Et la pluie est venue faire jouer son orchestre d'échos

    Sur notre quotidien sans surprise

     

    Dans cette ville où vont et viennent les pécheurs

    Je pourrai te trouver sans m'égarer

    Sous cette pluie de début d'été qui mouille les feuilles des cerisiers

    Moi qui attends qui t'attends

    Le chat trempé, tous se joignent à toi

     

    On dirait des hortensias n'est-ce-pas ?

    Ces parapluies qui fleurissent en rangées dans la rue de manière éclatante

    Ton parapluie de vinyle rouge teintait ton profil de pourpre

     

    Les oiseaux à l'ombre des arbres se languissaient du ciel

    Mais moi cette pluie ne me déplaisait pas

    Tu fermas ton parapluie et je t'invitai sous le mien

     

    L'air froid s'engouffra

    Entre nos doigts qui s'effleuraient

    Tu as arrangé tes cheveux aujourd’hui de telle façon que tu parais plus adulte qu’hier

    Viens colorer mon quotidien

     

    La pluie s'est arrêtée et j'ai posé mon stylo

    Le ciel a commencé à s’écouler sans que je le remarque

    Tu le savais, n'est-ce pas ?

    Que je t'avais menti. Depuis le début.

     

    La pluie emporte nos échecs

    Tout comme nous, bientôt

    Je n’arrive pas à me trouver dans le dessin de ton bonheur que tu as esquissé

     

    Moi, qui me reflétais dans tes yeux

     Dans cette ville où vont et viennent les pécheurs

    Je t'ai trouvée sans m'égarer

     

    Sous la pluie qui mouille les feuilles des cerisiers

    Moi qui te cherche, toi qui n'es pas là

    Je ferme les yeux et dans le parfum du vent, tu m'apparais.

     

    *****

     

    Je n'en suis pas sûre, mais je pense que "Sayônara kyô no hi" fait référence à la célèbre chanson 「今日の日はさようなら」 Kyô no hi ha sayônara "Au revoir, pour aujourd'hui", composée par 金子詔一 Kaneko Shôichi en 1966.

     

    Bonus !

     

     

     *****

     

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  • La recette magique du tourisme est universelle, en voici la preuve !

    *****

     

    Cela fait déjà quelques fois que j'entends des touristes de mes groupes (rappelons ici que je suis guide japonophone au Mont-Saint-Michel) comparer ce site à "Enoshima". J'ai donc enfin pris le temps de faire une toute petite recherche (wikipedia, hein), et en effet, je commence à comprendre l'analogie !

    - 江の島 Enoshima est une île reliée par un pont de 600m à l'île principale Honshû ; le nouveau pont-passerelle du Mont-Saint-Michel qui le relie au continent fait 760m.

    - Enoshima culmine à 60m, contre 80m pour le Mont-Saint-Michel.

    - La brève description (wikipedia) d'Enoshima donne : "Enoshima est une destination touristique appréciée. Il est possible de traverser l'île en peu de temps en suivant le chemin principal sur lequel se succèdent temples, jardin botanique, boutiques d'artisanat et restaurants." Pour rappel, le Mont-Saint-Michel, qui accueille entre 2,5 et 3 millions de visiteurs par an est un site formé autour d'une abbaye (1er site de province en termes de visiteurs), dont le village est constitué, depuis les origines, principalement de boutiques (auberges, restaurants, magasins de "souvenirs" ou de matériel de pèlerinage...), et dont le versant nord/nord-est, trop abrupte et soumis aux forts vents marins, est resté inhabité et donc à l'état de forêt...

    (La plus grosse différence au niveau descriptif est au niveau de la circonférence et de la superficie : 4km de tour pour 38ha à Enoshima, contre seulement 900m et 7ha au Mont-Saint-Michel).

     

    Mais l'analogie ne s'arrête pas là ! Le mythe de fondation d'Enoshima remonte au 6e siècle, et celui du Mont-Saint-Michel au 8e... On va dire qu'on n'est pas à 2 siècles près pour des époques aussi anciennes ! Et ils sont tous deux basés sur une histoire de "terrassement" de dragon.

    - Au Mont-Saint-Michel, on trouve deux allusions à un dragon : le sanctuaire est dédié à saint Michel, l'archange qui s'est battu contre Lucifer, l'archange rebelle (souvent représenté sous la forme d'un dragon) et qui, d'après l'Apocalypse de sain Jean, combattra à ce moment-là un dragon. Une représentation courante de l'archange très populaire au Moyen-Age est donc "terrassant le dragon". On trouve un autre dragon dans certaines légendes : l'île-même, le Mont-Tombe, serait le corps d'un dragon terrassé par l'évêque Aubert, qui a ensuite construit le premier sanctuaire au sommet à la demande expresse de saint Michel qui lui est apparu en rêve.

    - Enoshima : d'après la légende, un dragon terrible vivant dans une grotte sous-marine terrorisait les riverains en croquant les enfants. La déesse Benten ou Benzaiten 弁財天, qui appartient aux 7 Divinités du Bonheur de la mythologie japonaise, décide de régler la situation et de rendre tout le monde, y compris le dragon qui doit être malheureux pour être aussi méchant, heureux. Elle fait émerger la grotte des eaux, et cela devient l'île d'Enoshima, et propose ensuite au dragon de l'épouser pour le rendre heureux.

    Si Benzaiten ne terrasse pas à proprement parler le dragon, elle le met hors d'état de nuire et cherche tout de même à le ramener du bon côté.

    *****

     

     Les deux sites en images

     

    江の島

    Enoshima

     

    Île reliée au continent par un pont, vue magnifique

    Dragons, îles et tourisme

    source

     Dragons, îles et tourisme

    source

     Dragons, îles et tourisme

    source

     

    Boutiques et foule

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

    Escaliers et temples à gogo...

    Dragons, îles et tourisme

    Dragons, îles et tourisme

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

    Chemin de bois au bord de l'eau

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

     Perspective d'accès

    Dragons, îles et tourisme

     source

     

     

    Mont-Saint-Michel

     

    Île reliée au continent par un pont (bon ok, là je triche, la photo  date d'avant les travaux), vue magnifique

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

    Boutiques et foule

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

    Escaliers à gogo...

    Dragons, îles et tourisme

    source

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

    ... pour accéder à une abbaye

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

     Chemin de bois au bord de l'eau

    Dragons, îles et tourisme

    source

     

     Perspective d'accès

    Dragons, îles et tourisme

     source

     

     *****

     

    Alors, plutôt ressemblantes, non, ces deux îles ?

     

    Cette petite recherche m'a d'ailleurs permis de comprendre qu'en effet, les dragons japonais ne sont pas nécessairement "bons"... Je n'ai toujours pas fait de recherche précise à ce sujet, mais j'étais étonnée de ne pas avoir les mêmes sons de cloches de la part des visiteurs japonais quand j'expliquais que le dragon est une représentation du Diable en Occident. Certains me disaient "au Japon aussi, c'est en Chine qu'ils sont gentils". Enfin bref, ça mérite une petite recherche et donc peut-être, un petit article à venir, qui sait !

     

    Ceci étant, il se trouve que le Mont-Saint-Michel n'est pas jumelé à Enoshima mais à 宮島 Miyajima (ou 厳島 Itsukushima), dans la préfecture de 広島 Hiroshima, mais ça, sera pour un autre article, tiré directement de mon mémoire de master !

     

     

    Attention, si vous voulez accéder à nouveau à cet article ultérieurement, vérifiez que l'URL ne se termine pas par "recent/[nombre]". Si oui, cliquez sur le titre de l'article. Un nouvel URL apparait. C'est l'URL fixe de l'article.

     


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  • Je reviens après une longue absence pour raisons professionnelles avec une petite chanson : le générique d'ouverture de l'anime Fruits Basket, par Okazaki Ritsuko.

    Ce que j'aime beaucoup avec les OST de cet anime, c'est que la syntaxe est assez simple, les phrases courtes, et la prononciation facile à comprendre. Si le sens est parfois un peu poétique et pas toujours évident, ces chansons me semblent tout de même pas mal du tout pour s'entrainer un peu à entendre et comprendre du japonais.

    Je vous propose donc ma traduction, qui s'inspire de celles trouvées sur Animekaillou, AnimelyricsNautiljon et Lyricstranslate, même si je ne suis pas toujours d'accord avec leurs propositions (voir dans les notes ci-dessous).

    Pour ce qui est de la transcription en japonais, j'ai un peu modifié le texte trouvé partout sur internet pour ajouter quelques kanjis (cf. Les Kanjis de Yumi, quand même !). Pour la version "originale", voir ici ou sur la vidéo ci-dessous.

     

    *****

     

    For Fruits Basket

    岡崎律子 (Okazaki Ritsuko)

     

     

     とても嬉しかったよ
    君が笑いかけてた

    全てを溶かす微笑みで

    春はまだ遠くて
    冷たい土の中で

    芽吹くときを待ってたんだ

    例えば苦しい今日だとしても
    昨日の傷を残していても
    信じたい心ほどいてゆけると

    生まれ変わることはできないよ
    だけど変わってはゆけるから
    Let's stay together いつも

    僕だけに笑って
    その指でねえ触って

    望みばかりが果てしなく

    優しくしたいよ
    もう悔やまぬように

    嘆きの海も越えてゆこう

    例え苦しい今日だとしても
    いつか暖かな想い出になる
    心ごと全て投げ出せたなら

    ここに生きてる意味がわかるよ
    生まれおちた歓びを知る
    Let's stay together いつも

    例えば苦しい今日だとしても
    いつか暖かな想い出になる
    心ごと全て投げ出せたなら

    ここに生きてる意味がわかるよ
    生まれおちた歓びを知る
    Let's stay together いつも

     

     *****

     

    totemo ureshikatta yo
    kimi ga waraikaketeta
    subete o tokasu hohoemi de

    haru wa mata tookute
    tsumetai tsuchi no naka de
    mebuku toki o mattetanda

    tatoeba kurushii kyou da to shite mo
    kinou no kizu o nokoshite ite mo
    shinjitai kokoro hodo ite yukeru to

    umarekawaru koto ga dekinai yo
    dakedo kawatte wa yukeru kara
    let’s stay together itsumo

    boku dake ni waratte
    sono yubi de nee sawatte
    nozomi bakari ga hateshinaku

    yasashiku shitai yo
    mou kuramanu you ni
    nageki no umi mo koete yukou

    tatoe~
    kurushii kyou da to shite mo
    itsuka atatakana omoide ni naru
    kokoro-goto subete nagedaseta nara

    koko ni ikiteru imi ga wakaru yo
    umare ochita yorokobi o shiru
    let’s stay together itsumo


    tatoeba
    kurushii kyou da to shite mo
    itsuka atatakana omoide ni naru
    kokoro-goto subete nagedaseta nara

    koko ni ikiteru imi ga wakaru yo
    umare ochita yorokobi o shiru
    Let's stay together itsumo

     

    *****

     

    J’étais tellement contente
    Quand tu t’es mis à sourire
    Un sourire qui ferait fondre n’importe quoi

    Le printemps était encore loin
    Et dans la terre froide
    Attendais l’heure du bourgeonnement

    Même si aujourd’hui est douloureux
    Et les blessures d’hier n’ont pas guéri
    Tant que notre cœur y croit, on peut continuer

    On ne peut pas changer notre naissance / renaître / se réincarner
    Mais on peut changer
    Alors restons ensemble pour toujours

    Si tu ne souris qu’à moi
    Et tu me touches avec ces doigts
    Alors mon espoir est infini

    Je veux faire les choses doucement
    Pour ne plus avoir de regrets
    Franchissons ensemble cet océan de douleur

    Même si aujourd’hui est douloureux
    Un jour, cela deviendra un souvenir chaleureux
    Si je délivre mon cœur de tout ceci

    Je comprends la signification de notre existence
    C’est pour connaître la joie de vivre
    Restons ensemble pour toujours

    Même si aujourd’hui est douloureux
    Un jour, cela deviendra un souvenir chaleureux
    Si je délivre mon cœur de tout ceci

    Je comprends la signification de notre existence
    C’est pour connaître la joie d’être né (et de vivre)
    Restons ensemble pour toujours.

     

    *****

     

     

    Notes diverses :

     

    - le texte original écrit 芽吹く瞬間(とき). C'est un procédé que j'aime beaucoup et qui joue sur le sens des kanjis : le mot 瞬間 signifie "instant" mais se prononce normalement "shunkan".

     

    - 例えば : la plupart l'ont traduit "par exemple", mais je le comprends personnellement en tant que renforcement du ても de la fin de proposition. On utilise généralement la forme 例え. Le fait qu'elle emploie cette forme la 2e fois me conforte dans mon idée.

     

    - 信じたい心ほどいてゆけると : je ne comprends pas du tout la phrase comme les autres traducteurs. Tout d'abord, certains comprennent 信じたい comme "je veux croire que". Or, cela serait ......のは信じられない。Ici, ce mot est le déterminant de 心, donc c'est le coeur qui veut croire. Ensuite, pour ほどいて, tous l'ont compris comme étant le verbe 解く hodoku "dénouer, défaire", et comprennent donc qu'ils s'agit de libérer le coeur. Personnellement, je comprends ほど(autant que, ici "au moins") +いて (verbe いる), soit "tant que j'ai au moins la volonté de croire, ça peut aller / je peux continuer".

     

    - 望みばかりが果てしなく : tous comprennent 望み(désir, espoir) comme étant le désir de ce que décrit les deux phrases précédentes, alors que je le comprends comme l'espoir que ces phrases apportent pour le futur.

     

    - 優しくしたいよ : ici, le texte original donne やさしくしたいよ, ce qui laisse une ambiguïté quant au sens : est-ce 優しい (gentil, doux, tendre) ou 易しい (facile) ? Les autres traducteurs optent pour la seconde option, moi pour la première.

     

    - 悩まぬように : nous avons ici une forme archaïque héritée du bungo !! (<3)

     

    - 心ごと全て投げ出せたなら : certains ont compris "si tu gardes tout ceci au fond de ton coeur", alors que le verbe 投げ出す est composé de deux verbes voulant dire "jeter". J'en ai conclut qu'il faut jeter les choses qu'il y a dans le coeur.

     

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     Voilà voilà, j'espère que vous aimerez la chanson ! N'hésitez pas à laisser des commentaires pour faire des remarques sur les points évoqués dans les notes (je suis toujours preneuse d'avis et d'idées pour m'améliorer ! )...

     

     

     

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  • J'inaugure ici une nouvelle série d'articles qui porteront sur un nouveau thème : le cinéma. Il s'agit en fait de commentaires libres que j'ai écrits dans le cadre d'un cours de cinéma japonais en 3e année de licence. Ils s'appuient principalement sur le cours et ma propre analyse personnelle, d'où l'absence totale de références et quasi-totale de mise en contexte des films et des réalisateurs (mais je suis sûre qu'une petite recherche wikipédia ou autre vous renseignera sommairement sur ces points). Il faut savoir que je n'ai aimé à peu près aucun des films étudiés, et que certains m'ont même choquée/dégoûtée !

    Concernant Ozu, dont il est question aujourd'hui, je me souviendrai toujours d'une remarque de ma prof : "Quand on a vu un film d'Ozu, on les a tous vus." Je ne sais pas si c'est vrai, vu que je n'ai vu que celui-là, mais j'étais très heureuse d'apprendre que je n'aurais plus jamais à en regarder un autre XD

    Dans tous les cas, enjoy !

     

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    晩春

     

    Banshun (Printemps tardif), Ozu, 1949Avec Printemps tardif, Ozu marque un tournant dans sa carrière et dans son style, qui se définira ensuite d’après la plupart des procédés utilisés dans ce film, même s’ils ne m’ont pas toujours paru ici systématiques. C’est la mise en place de tout ce panel de caractéristiques qui fera dire d’Ozu qu’il est le plus japonais des réalisateurs ; cela est vrai pour ses thèmes mais est aussi repérable dans sa technique. Ce commentaire tentera donc de recenser ces caractéristiques.

     

    Tout d’abord, au niveau de la technique, la caméra relativement statique – elle bouge tout de même parfois – pose le cadre. Ozu préfère souvent avoir la caméra fixe, ou du moins, fixe par rapport à un objet de la scène : par exemple, lorsque la caméra filme l’extérieur du train en mouvement, d’un côté elle bouge – puisque le train bouge – et cela se voit au paysage qui défile sur le côté, mais d’un autre côté, toute la partie du train visible dans le champ est immobile et la caméra l’est donc aussi vis-à-vis de cette partie du cadre.

                                                                                                                                                    source image

     Une autre caractéristique de la caméra est qu’elle est souvent placée au niveau du sol. Cela parait logique en intérieur, puisque la plupart de ces scènes se déroule au niveau des tatamis autour de tables basses, conformément à la tradition japonaise. Cette position basse de la caméra peut donc être considérée comme caractéristique d’un cinéma japonais. Mais là où cela pose problème, c’est que lorsque les personnages se lèvent, la caméra reste statique et une partie de leur corps se retrouve hors du champ sans aucune tentative de cadrage. Peut-être peut-on y voir une mise en pratique par la technique d’un thème – que je développerai plus tard – qui se dessine tout au long du film : les oppositions entre tradition et modernité dans ce Japon juste après-guerre. Ainsi, la caméra occidentale a du mal à capter la vie traditionnelle dans son ensemble.

    De même, cette position basse et statique de la caméra est parfois utilisée en extérieur, même si cela n’est pas systématique. Par exemple, le passage du train est filmé ainsi. Peut-être peut-on y voir une sorte de regard à la japonaise sur un exemple de la modernité venue d’Occident. C’est sans doute un peu tiré par les cheveux, mais il faut bien tenter d’expliquer cette application des techniques intérieures à l’extérieur, sans quoi cela parait ne pas avoir de sens.

    Du point de vue de la technique, on remarque aussi l’utilisation de scènes oreiller, même si je n’en ai pas vu beaucoup et elles m’ont souvent paru difficiles à comprendre.

    On peut donc déjà voir qu’Ozu met en place un certain nombre de caractéristiques techniques qui définiront dès lors son style, même si elles ne semblent pas encore appliquées de manière systématique. Peut-on en dire autant au niveau des thèmes développés par l’histoire ?

     

    Le film raconte l’histoire d’une jeune fille qui refuse de se marier pour ne pas laisser son père seul. Dans cette trame, déjà, on retrouve plusieurs thèmes de prédilection d’Ozu. Tout d’abord, l’intrigue se déroule autour d’une famille dont la mère est absente, même si on ne sait pas pourquoi ; sans doute est-elle morte. La raison n’est pas importante car c’est le présent qui compte : on raconte une histoire, un pan de vie, pas toute une vie.

    Dans cette famille, c’est le mariage de la fille qui pose problème – comme d’habitude chez Ozu, pourrait-on dire – et le titre Printemps tardif réfère sans doute à l’épanouissement tardif de Noriko en tant que femme mariée.

    Mais ce qui fait, pour moi, ce style si japonais que l’on prête à Ozu, c’est qu’il traite d’un thème incontournable dans le Japon depuis Meiji jusqu’à nos jours, et notamment en cette période de juste après-guerre : la modernisation du Japon.

    Par exemple, l’utilisation des vêtements est importante. Avec le principe du uchi et du soto japonais, les vêtements que l’on porte à l’intérieur sont souvent des vêtements japonais, alors que les vêtements d’extérieur, souvent pour aller travailler par exemple, sont des vêtements à l’occidentale, comme si ces deux mondes, intérieur et extérieur, ne se mélangeaient pas. La séparation dans le film n’est pourtant pas toujours aussi nette et des glissements s’effectuent, reflétant peut-être encore plus les difficultés de la modernisation puisqu’on ne sait plus exactement quand on doit porter quoi.

    Pour rester sur la question des vêtements, on remarquera également que les jeunes ont tendance à porter des vêtements occidentaux alors que leurs ainés préfèrent les vêtements traditionnels. Cela est par exemple très visible lorsque les deux hommes sont vus pour la première fois : le maitre est en kimono et son assistant en costume, alors qu’ils travaillent tous deux sur des tables basses dans une pièce à tatamis. La nouvelle génération opère donc mieux le mélange entre tradition et modernité.

    Le personnage qui incarne la modernité est d’ailleurs l’amie de Noriko. Fière d’être divorcée et remariée, elle travaille, son intérieur est tout à l’occidentale, elle fait des gâteaux. Cependant, malgré sa tante qui la caractérise de « peut-être un peu vieux jeu pour son âge », Noriko me semble un personnage assez complexe du point de vue de la modernité. En effet, elle ne veut pas se marier pour s’occuper de son père. Cela semble à priori une vision plutôt traditionnelle de la vie, mais pour cela, elle refuse le mariage, qui est pourtant l’acte par lequel une jeune fille japonaise sert sa famille au mieux de ses intérêts d’après la tradition. En refusant ce mariage, elle s’oppose, même si cela n’est pas violent, à l’autorité paternelle et à celle de sa tante. De même, elle ne veut pas d’une marieuse. Cela semble se rapprocher plus d’une conception occidentale de l’amour. Ainsi, il me semble que ces deux jeunes filles se complètent pour incarner les changements qui s’opèrent parmi les jeunes filles de cette époque. Cependant, leurs méthodes sont différentes : peut-être est-ce un signe de balbutiement dans ces tentatives de modernisation de la société face à la tradition que l’une rejette totalement, et que l’autre a du mal à concilier avec ses propres idées romantiques.

     

    Ainsi, Ozu marque le premier d’une série de film qui terminera sa vie, où son style s’affirme aussi bien au niveau de la technique que concernant ses thématiques de prédilection. Notons que dans ce film, il emploie bon nombre de personnes de son équipe quasi-fixe. Ainsi, Ozu n’est-il peut-être pas tant le plus japonais par opposition à quelque chose qui serait le plus occidental mais plutôt parce qu’il a adapté ses modes de représentation – une technique occidentale pour filmer une vie japonaise – à un de ses thèmes majeurs : l’opposition entre la tradition et la modernité. Le fond et la forme servent ce discours complexe qui ne donne, me semble-t-il, pas de réponse claire. Je finirai cependant en notant que vers la fin du film – je ne me rappelle pas exactement où – une scène se termine par une pile de magazines qui tombent d’une pile de livres sur une chaise, comme si la modernité avait des difficultés à rester stables sur les bases – stables – de la tradition sur laquelle elle repose. Enfin, si on revient sur le titre, on pourrait peut-être pousser à y voir une sorte de relation avec les thèmes de la poésie classique : l’emblème du printemps est la fleur de cerisier ; or, une fleur s’épanouit. Si le titre fait bien référence à la vie de Noriko, son épanouissement dans le mariage est donc rattaché à la tradition. On peut donc y voir également une sorte de retour en arrière : après une sorte de « crise de modernité », elle entre ensuite pleinement dans la tradition, mais tardivement.

     

     


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  • Dossier réalisé pour un séminaire de "Orientalisme" en Master 1.

     

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    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art

    Comment appliquer les théories d'Eward Saïd au domaine de l'art ?

     

                   Dans son livre Orientalism en 1978, Edward Said démontre que ce mouvement, considéré uniquement sous sa forme scientifique et littéraire, est un « style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’Orient ». Autrement dit, l’Orient a été « orientalisé », rendu oriental par le regard occidental, c’est un discours – Said reprend le mot de Foucault. Si on se base sur les critiques de Kant, l’orientalisme consiste à ne considérer une civilisation que sur le plan esthétique, en ignorant ses composantes intellectuelles et morales. Donc on la considère comme inférieure intellectuellement et moralement, mais on la vénère esthétiquement. Une autre caractéristique de l’orientalisme est qu’il efface l’altérité de l’autre, il efface l’autre en tant qu’être banal, pour n’en considérer que ce qui est différent de nous, et donc, admirable sur le plan esthétique.

                    Au XIXème siècle apparait en Europe un genre de peinture, dit « peinture orientaliste ». Après la parution de l’ouvrage de Said, certains historiens de l’art, Linda Nochlin par exemple, ont essayé de prendre en compte la thèse de Said pour considérer cette peinture, au lieu de rester, comme cela se faisait jusqu’alors, dans des seules considérations esthétiques ou historiques.

                    Mais alors que l’esthétique est, par définition, le domaine de l’art, on peut se demander comment on peut utiliser la pensée de Said pour analyser des œuvres d’art. Nous étudierons dans cette étude plusieurs types d’orientalisme en art, à savoir, deux peintres orientalistes du XIXème siècle, Delacroix et Ingres, puis un peintre japonisant, Van Gogh, pour enfin étudier deux ensembles d’art décoratifs de la fin du XIXème siècle en France. Nous essaierons ainsi de déterminer à quel point la thèse de Said peut être adaptée à l’Histoire de l’Art, en étudiant la dimension morale de cet art, le paradoxe du comportement européen face à l’art japonais, et la question du discours que produit l’ensemble de l’art orientaliste.

     

    I. Delacroix et Ingres, entre voyage et atelier.

                    1. Eugène Delacroix.

                  Eugène Delacroix est aujourd’hui un des peintres les plus connus et appréciés du XIXème siècle français. Formé à l’art classique, il s’en détourne un moment en devenant une figure forte de la peinture romantique, pour y revenir en partie dans sa période orientale.

                  C’est pendant sa période romantique qu’il commence à utiliser des thèmes orientaux, par exemple, dans La mort de Sardanapale (1827). Il y trouve des sujets correspondant totalement aux besoins romantiques, telle la mort de ce souverain assyrien qui, sa ville assiégée, demande qu’on tue ses esclaves et ses favorites et qu’on brûle la ville, plutôt que de la voir tomber aux ennemis. Précisons cependant que Delacroix a puisé ce thème chez Byron, auteur romantique très inspiré par l’Orient. Cet Orient romantique de Delacroix est un Orient fantasmé, puisqu’il n’est pas encore allé dans les pays qu’il peint. Ainsi, l’Orient subit dès le départ une amplification esthétique, puisqu’on n’en peint que ce qui donne sujet, à savoir des mythes romantiques dans un cadre exotique.

                    En 1832, Delacroix participe à une mission diplomatique auprès du comte  de Mornay afin de d’apaiser les inquiétudes du sultan du Maroc à propos de la conquête d’Algérie. Il passe également trois jours à Alger lors de ce voyage. Il est frappé par les costumes blancs qui contrastent avec les costumes rouges turcs, et donnent d’après lui des allures de Caton d’Utique ou Brutus. La découverte de l’Orient « réel » se fait dans un parallèle à l’Antiquité qui avait été au cœur de sa formation. Ainsi, il devient en quelque sorte intemporel, alors qu’à l’inverse, ses tableaux sont désormais basés sur une réalité vécue, et plus un Orient mythique ou imaginé. Il prend énormément de notes et de croquis à l’aquarelle, qu’il retranscrit ensuite en peinture rentré en France. Mais ce qu’il y découvre, au-delà d’une nouvelle lumière qui lui apprend de nouveaux coloris, c’est l’exotisme et le pittoresque d’un ailleurs comme figé dans le temps – puisqu’il le compare à l’Antiquité romaine. Il écrit par exemple « A chaque pas, il y a des tableaux tout faits qui feraient la fortune et la gloire de vingt générations de peintres ».

                    Prenons l’exemple du tableau Femmes d’Alger dans leur appartement de 1834 (fig.1).  On y retrouve une grande quantité d’objets « typiques » : un narguilé, des babouches, un braséro, un tisonnier… tout cela fait très « couleur locale ». Ainsi, d’après Rachid Boudjedra, il porte sur la réalité algérienne un regard de bimbeloterie et une vision colonialiste qui restreint son œuvre. En effet, Delacroix était un farouche partisan de la conquête de l’Algérie, et ce tableau apparait, selon Boudjedra, comme une affiche publicitaire pour mieux vendre la colonisation.

    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art [dossier]

    (Fig. 1)

     

                  2. Jean Auguste Dominique Ingres.

                 Le goût naturel d’Ingres pour l’exotisme s’est vu renouvelé avec le succès de Femmes d’Alger de Delacroix en 1834. Mais à la différence de Delacroix, il n’a voyagé là-bas. Son Orient est donc un « Orient d’atelier », totalement imaginaire, qui n’est ni turc, ni persan, ni indien, malgré un souci de restituer la « couleur locale » et un grand intérêt pour les découvertes archéologiques. On pourrait ajouter qu’il est juste « exotique ». Cet Orient dit ingresque est essentiellement féminin, incarné par des beautés dénudées et alanguies. De la même manière qu’il prend des libertés avec l’anatomie humaine – sa Grande Odalisque n’a pas le bon nombre de vertèbres, la jambe droite de sa Grande Baigneuse (fig.4) n’est pas rattachée au corps – peindre l’Orient lui permet des libertés au niveau des sujets.

    Prenons comme exemple Le Bain Turc (1859-63) (fig.3). Il reprend là le thème du harem, lieu fantasmé par les Occidentaux comme lieu d’exotisme par excellence, de despotisme sexuel du sultan, et qui lui permet de traiter le nu féminin avec plus de légèreté que dans la sérieuse peinture d’Histoire. Ce tableau est inspiré de passages qu’il a recopiés des Lettre de Lady Montagüe, ambassadrice d’Angleterre à la Porte ottomane (1764) : « Il y avait là cent baigneuses : les premiers sophas furent couverts de coussins et de riches tapis ; et toutes étaient nues. Cependant, il n’y avait parmi elles ni geste indécent, ni posture lascive ». Cependant, Ingres trahit ce témoignage, et n’en respecte pas la dernière partie, puisqu’il s’autorise à peindre, justement, ces postures lascives inexistantes. De plus, en plus des tapis et sofas luxueux, certaines, pourtant nues, portent de toques locales ou de voiles, d’autres des bijoux. Cela ne figure pas dans les Lettres et semble rajouter une note d’exotisme imaginé.

    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art [dossier]

    (Fig. 2 - 3 - 4 - 5)

     

    Mais élève de David et formé à la manière classique, c’est également en parallèle avec l’Antiquité qu’il traite cet Orient d’atelier. En effet, malgré le fait qu’il peigne ici une scène de sérail (ou harem), il ne peint pas le contraste des peaux blanches et noires des femmes de ces sérails. De plus, Le Bain Turc – tout comme L’apothéose d’Homère, par exemple – est en réalité une synthèse d’études menées sur l’anatomie dans d’autres tableaux, antiques ou orientaux, tels Vénus Anadyomène (1808-48) (fig.2), La Baigneuse Valpinçon (1808) (fig.4), ou encore L’odalisque à l’esclave (1842) (fig.5). Ainsi rapproche-t-il, comme Delacroix, l’Orient et l’Antiquité, ce qui mesure son exotisme puisqu’il est interprété de manière classique. On retrouve donc ici le thème d’un Orient intemporel et lié à l’Antiquité grecque ou romaine.

     

    3. Interprétation.

    On a donc vu comment, chez certains peintres orientalistes du XIXème siècle, l’Orient devient une sorte de lieu typique, atemporel, évocateur de l’Antiquité disparue. L’exotique, c’est soit ce qui proche dans l’espace et loin dans le temps (l’Antiquité), soit loin dans l’espace et proche dans le temps (l’Orient). D’après Linda Nochlin, cette peinture fige le monde oriental, le présente « comme épargné par les processus historiques », montre des gens « englués dans leurs us et coutumes traditionnels ». Or, elle souligne, par exemple, que quand Kermal Atatürk cède le droit de vote, à l’instruction et d’être élues à des fonctions publiques aux femmes, Matisse peint sa série de Belles esclaves turques. De même, Delacroix s’enthousiasme de la sorte : « C’est beau ! C’est comme au temps d’Homère ! la femme dans le gynécée s’occupant des enfants, filant la laine ou brodant de merveilleux tissus. C’est la femme comme je la comprends. » D’après Christine Peltre, l’Orient est souvent féminisé, comme pour en « justifier la prise de possession » (J.C. Berchet). Un vision très sensuelle de la femme d’Orient a été suscitée par la traduction des Mille et Une Nuits. Le décor enveloppe ses charmes comme un écrin précieux, et d’après Fatema Mernissi dans Le Harem et l’Occident (2000), lors de son « passage à l’Ouest », Schéhérazade a perdu ce qui était son pouvoir de séduction, le langage de la conteuse, au profit d’une sensualité exacerbée.

    On ne peut cependant pas restreindre notre lecture de l’art de cette époque à une peinture colonialiste et pittoresque, car on ne peut nier l’apport considérable de ces peintures sur la peinture, en général. Par exemple, Les femmes d’Alger seront encore louées par Cézanne, pourtant peu féru d’orientalisme, pour ses coloris. C’est en effet à cette période que Delacroix explore le plus entièrement sa palette de couleurs, et il sera un maître pour beaucoup par la suite. De même, Ingres est devenu un maître pour beaucoup, pour son amour de la ligne bien faite, qu’il expérimente beaucoup dans sa peinture orientaliste.

    Enfin, on ne peut pas totalement en vouloir à ces peintres d’avoir voulu peindre des choses nouvelles, ni même de les admirer, ou encore de les imaginer, car qui peut défendre à un peintre d’utiliser son imagination ? Comme nous le reverrons par la suite, le fond du problème se trouve dans le discours produit par toute la production orientaliste mise bout à bout, et en cela – nous y reviendrons plus en détail – certaines théories de Said sont totalement applicables.

     

    II. Van Gogh et le japonisme pictural.

                    1. Ouverture du Japon et découverte de l’ukiyo-e en France.

                   Forcé à s’ouvrir en 1854 par le commodore Perry, le Japon participe pour la première fois à une exposition universelle à Londres en 1862. Mais c’est véritablement à l’exposition de 1867 à Paris que la France découvre l’art japonais, à travers ses arts décoratifs (voir III.) et ses estampes, l’ukiyo-e. L’engouement est immédiat. Les artiste français – et européens –voient notamment dans ses grands aplats de couleur et ses compositions qui rompent avec la perspective géométrique utilisée depuis la Renaissance une porte de sortie pour l’art européen en pleine décadence. Par exemple, Ernest Chesneau écrit dans son article Le Japon à Paris, dans la Gazette des Beaux-Arts du 1er septembre 1878 (année d’une autre exposition universelle à Paris et de l’apogée du japonisme) : « On ne pouvait se lasser d’admirer l’imprévu des compositions, la science des formes, la richesse du ton, l’originalité de l’effet pittoresque, en même temps que la simplicité des moyens employés pour arriver à de tels résultats ». Ainsi, la plupart des artistes importants de la fin du XIXème siècle acquièrent des collections d’estampes japonaises – Manet, Degas, Monet… – notamment chez le marchand d’art qui s’en fait le spécialiste, Siegfried Bing. C’est d’ailleurs S. Bing qui crée le terme « japonisme » en 1872 dans sa revue Le Japon artistique.

               On peut d’ailleurs voir l’importance des arts picturaux japonais pour les Européens aux Beaux-Arts de Tôkyô, fondés en 1889 par Okakura Tenshin. En effet, pour tous les arts, c’est l’art occidental qui est considéré comme le genre majeur – en musique, par exemple – mais la seule exception est justement la peinture, où la section d’art japonais est développée tout de suite, et où la section occidentale ne s’installe pas tout de suite. Cela est d’autant plus révélateur, que la notion d’ « esthétique » n’existait pas au Japon, et est une importation occidentale datant de l’ère Meiji. Emile Zola est friant d'estampes érotiques et les accroche dans son escalier. Notons ici qu'il n'aurait jamais fait cela avec des gravures érotiques européennes, mais c'est de l'art japonais, donc ce n'est pas vulgaire, c'est esthétique ! Ainsi, les Européens portent l’ukiyo-e aux nues sur le plan esthétique, alors qu’il était considéré au Japon comme un art populaire – sans nier pour autant les qualités techniques de certains artistes – car ayant un coût faible en raison de la production en série, servant à l’éducation sexuelle (shunga 春画) ou à faire des affiches pour le théâtre kabuki, par exemple. Une autre utilisation populaire résidait dans la mode des calendriers dont on découvre une nouvelle estampe chaque mois. Ainsi, l’ukiyo-e représentait beaucoup les quartiers des plaisirs, lieu-même de sa naissance et de sa production, et variait les sujets pour plaire – c’était donc bien un art populaire.

     

                    2. Van Gogh et Hiroshige : le travail de la composition et de la couleur.

                  Van Gogh n’échappe pas à la règle des peintres collectionneurs d’estampes japonaises, et c’est un ami proche de S. Bing, et un grand habitué de sa boutique. Il est ainsi subjugué par l’art de l’ukiyo-e et voit dans son influence un tournant décisif qui va faire disparaître les vieilles conceptions académico-classiques. Il écrit à son frère Théo : « Tout mon travail se construit pour ainsi dire sur les Japonais ». Il apprécie particulièrement les aplats de couleur vive et dit qu’il étudie la nature avec un « œil plus japonais ».

                    C’est ainsi qu’il découvre Hiroshige, qu’il décide de « reproduire dans toute leur splendeur colorée » (Siegfried Wichmann, voir bibliographie) dans des œuvres telles que L’arbre (1886-88) (fig.7) et Le pont (1886-87) (fig.9). Les figures 6 et 8 sont les estampes de Hiroshige prises comme modèle. Dans ces deux œuvres, Van Gogh copie littéralement la composition de Hiroshige, sans même se l’approprier, dirait-on. Cependant, il ajoute un cadre, dans lequel il dessine des sinogrammes fantaisistes. Il semble en cela d’essayer d’être encore plus japonais que le maître japonais. Ainsi, pour un œil européen qui n’a pas l’habitude de l’art japonais, L’arbre parait assurément absolument japonais. Cependant, ce qui parait étrange, c’est qu’alors même qu’il admire les aplats de couleurs, il traite ici la couleur d’une manière plutôt impressionniste. Ainsi, il transforme la partie claire du ciel (fig.6) en une brume qui peut représenter soit le ciel, soit les fleurs du prunier, ce qui dénature le style épuré de Hiroshige. De plus, cela donne à sa peinture un aspect rustique, ce qui renforce d’un côté l’effet « japonais » dans un œil profane, représentant ainsi un Orient dont on considère qu’il est encore dans un stade comparable au Moyen-âge européen. Ce qui est étonnant en cela, c’est qu’il est peu probable que Van Gogh lui-même ait eu cette vision rustique d’un Orient arriéré à propos du Japon étant donné l’admiration plastique qu’il lui portait.

    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art [dossier]

    (Fig. 6 - 7)

     

    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art [dossier]

    (Fig. 8 - 9)

     

                    Ainsi Van Gogh s’inspire-t-il de l’art de l’estampe japonaise afin de créer un art qui lui est propre, et en cela, on ne peut pas le blâmer de faire évoluer son art au contact de nouvelles – car inconnues avant – esthétiques. Cependant, on peut lui reprocher sa volonté, semble-t-il, d’être encore plus japonais que les Japonais eux-mêmes.

     

                    3. Van Gogh et Hokusai : la technique du trait/point.

                   Van Gogh découvre également Hokusai à cette époque, avec notamment sa Manga et ses Trente-six vues du Mont Fuji. Il admire les moyens simples de la représentation, et analyse le système de trame de variation traits/points auquel Hokusai soumet systématiquement certaines parties du paysage. Par exemple, les pointillés irréguliers évoquent le feuillage, de petits traits représentent des herbes hautes. Il s’agit là de procédés abréviatifs suivant la tradition japonaise. Il écrit à Théo : « J’envie aux Japonais l’extrême netteté qu’ont toutes choses chez eux […] ils font une figure en quelques traits ».

                    Cependant, son approche de cette technique est différente de celle de la couleur et de la composition chez Hokusai. En effet, Van Gogh semble essayer de se l’approprier d’emblée, sans passer par une simple copie presque caricaturale de l’original. Par exemple, il refuse d’acheter, comme le fait Toulouse-Lautrec par exemple, de l’encre et des pinceaux japonais, et préfère tailler soi-même un roseau et utiliser de l’encre bistre et du sépia qui a un plus grand pouvoir de dégorgement. De plus, il codifie à sa propre manière, d’après l’étude de Hokusai, les structures de buissons, d’arbres, etc… On peut par exemple le voir en comparant les figures 10 et 11, de Hokkei et Hokusai, à la figure 12, Cabanes aux Saintes-Maries (1888) de Van Gogh. Il ne copie plus la composition et traite les textures, les toits et la végétation d’une manière différente, beaucoup plus foisonnante.

    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art [dossier]

    (Fig. 10 - 11)

     

    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art [dossier]

    (Fig. 12)

     

    Dans Promenade à Arles (1888) (fig. 13), Van Gogh synthétise ses recherches sur la technique du trait/point et sur la couleur, produisant une œuvre qui n’a plus rien de japonaise. On peut ainsi voir que si son attitude face à Hiroshige peut être controversée, Van Gogh a ensuite su sortir de l’attitude purement orientaliste du peintre – admirer l’autre à l’excès, vouloir être plus japonais que les Japonais – pour utiliser ses découvertes afin de créer un nouvel art européen, un art qui appartient aux amorces de la modernité européenne. Ainsi, il a su extraire la modernité de cet art japonais que certains louaient comme étant médiéval, au sens où il n’est pas encombré de modernité – par exemple, Félix Régamay écrit à sa mère le 28 août 1876 que le Japon « va sombrer dans le sombre fatras de la civilisation occidentale ». De même, les frères Goncourt voient dans le Japon un monde meilleur, loin de la laideur et de la trivialité de l’Occident industrialisé, preuve que les Occidentaux ne veulent pas que le Japon se modernise, et donc, selon la vision Occidentale, se civilise, en quelque sorte, et ce, pour des raisons esthétiques !

     

    De l'éclectisme de l'orientalisme dans l'art [dossier]

    (Fig. 13)

     

    III. Le japonisme dans les arts décoratifs.

                  1. Découverte des arts décoratifs japonais en France.

                  Comme on l’a déjà vu, c’est à l’exposition universelle de Paris de 1867 que la France découvre les créations artistiques japonaises et que la mode du japonisme est véritablement lancée en Europe. A cette exposition, le Japon propose 145 exposants, contre 87 pour la Chine et 29 pour le Siam, autres pays asiatiques représentés. Les produits japonais sont envoyés par le Shôgun lui-même, ainsi que par le daimyô de Satsuma, qui vient à personne à l’exposition, produisant un grand effet, puisqu’il dort non loin du stand avec des gardes en armures devant sa tente. De plus, une ferme japonaise en bois et chaume est aménagée. On y voit la vie du peuple et on y sert du thé.

                 L’exposition universelle de Paris de 1878 marque le paroxysme de la mode du japonisme, avec 430 exposants japonais. En 1875, le gouvernement japonais avait publié un manuel destiné à développer l’exportation en présentant des exemples des meilleurs produits artistiques et artisanaux japonais, dont des céramiques de Satsuma rehaussées d’or et à motifs polychromes, qui eurent un succès considérable en 1878. De plus, à cette exposition, on découvre les grès anciens. Les objets anciens étaient très attendus et au début, ces grès assez simples déçoivent, sûrement comparés au faste des autres produits proposés, mais assez vite, les deux styles trouvent leur public : le style décoratif, plus accessible au grand public, emporte un grand succès auprès du simple public, alors que les grès sont plus du goût des amateurs d’art ancien et des céramistes.

                 Le critique d’art Théodore Duret écrit dans Voyage en Asie : Le Japon, la Chine, la Mongolie, Java, Ceylan, l’Inde (Paris, 1874) : « Le peuple japonais est essentiellement un peuple de goût, rien de ce qu’il façonne n’est laid ; les objets de la vie usuelle, du pauvre comme du riche, par la coupe, la forme ou la couleur, sont ici choses de goût. » Ainsi, s’opère un renouveau des arts décoratifs français, par la découverte de nouveaux sujets, de nouvelles techniques et de nouveau matériaux au contact des œuvres japonaises.

     

                  2. Détournement d’une esthétique.

                  Au début, la production d’arts décoratifs japonisants se montre relativement ignorante des arts japonais. Par exemple, les productions japonaises et chinoises sont souvent confondues, et le service auquel appartient l’assiette de la fig.14 est qualifié de « décor chinois » dans L’Album des principaux modèles de la manufacture de Bordeaux. De plus, comme on le voit sur l’assiette de la fig.15, certains motifs exotiques n’appartenant pas au répertoire japonais s’y faufilent, comme les perroquets.

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    (Fig. 14 - 15)

     

                  Le principe de sobriété des ustensiles de la cérémonie du thé est pleinement assimilé par les céramistes français qui se mettent à travailler le grès, mais il est également détourné, car dans l’art japonais, la sobriété des ustensiles n’est qu’une partie d’un plus grand ensemble, intégrant le jardin, l’architecture du pavillon et la cérémonie même, alors que les céramiques françaises se contentent de reprendre l’esthétique sobre. De plus, certains céramistes détournent également les formes, comme Jean Joseph Carriès, qui crée un grand vase (fig.16) à partir de la forme d’un pot à poudre de thé (茶入).

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    (Fig. 16)

     

                  Mais les plus nombreux détournements de l’art japonais résident dans le mélange des genres, à savoir l’estampe et les arts décoratifs. Par exemple, le vase d’Edmond Lachenal (fig.17), bien qu’il reprenne en partie une technique de grès de Tanegashima, s’inspire largement de l’art de l’estampe, non seulement dans son format allongée en hauteur, mais aussi au niveau du traitement pictural du motif, repris des deux estampes de Hiroshige : Moineaux et branche de camélias sous la neige (pour le traitement de la neige) et Camélias et oiseau (pour la composition pivotante et la branche aux angles nets).

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    (Fig. 17)

     

                 De même, on voit dans les fig.18&19 que des personnages d’estampes (courtisanes et acteurs de kabuki) sont repris tels quels pour décorer des tasses à café totalement occidentales. Ainsi, les figures qui n’étaient soit pas isolées, soit isolées sur un fond coloré se retrouvent isolées sur un fond blanc en décoration d’un service qui se veut d’un goût certainement raffiné – rappelons que l’ukiyo-e était un art populaire ! De plus, on voit dans la fig.15 que la manufacture Vieillard de Bordeaux reprend le cartouche des estampes afin d’y insérer ses initiales stylisées. Le cartouche est largement repris, mais, comme on le voit dans la fig.20, on n’hésite pas à les croiser – et ceci n’est que le fruit d’observations personnelles et les résultats en sont peut-être erronés, mais je n’ai pas réussi à trouver d’estampe croisant un cartouche vertical à un horizontal. Il en est de même pour les fig.21&22 dans lesquelles on associe un éventail japonais à une végétation japonisante, et encore une fois, je peux me tromper mais je n’ai pas réussi à retrouver une telle composition dans des estampes japonaises.

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    (Fig. 18 - 19)

     

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    (Fig. 20)

     

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    (Fig. 21 - 22)

     

             Enfin, notons que Hokusai est encore une fois très apprécié et repris. Par exemple, la manufacture Vieillard détourne l’image d’un vieillard qui s’apprête à boire une coupe de sake (fig.23) pour en faire un vieillard qui s’amuse avec des oiseaux (fig.24). Certes, les oiseaux sont un sujet également très repris des arts japonais, mais on crée ici une composition nouvelle que l’on fait presque passer pour japonaise. De même, dans la fig.25, l’artiste bordelais Amédée Caranza confronte deux figures tirées séparément d’œuvres de Hokusai afin de créer une nouvelle scène cocasse que, selon Jacqueline du Pasquier, « le maître japonais n’aurait pas désavoué ». C’est ce même artiste qui entoure parfois des sujets tirés de la Manga d’une bordure dans un style turc, par exemple.

     

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    (Fig. 23 - 24 - 25)

     

                    3. Une vision du Japon.

                  Ainsi, encore une fois, on ne peut pas reprocher à ces artistes d’avoir voulu puiser à cette nouvelle source afin de créer un art nouveau. Cependant, ce qui est surtout regrettable, c’est que cette production, qui s’affirmait comme était « japonisante », a contribué à réduire la vision des Occidentaux sur le Japon à une simple vision esthétique. Ernest Chesneau écrivait : « Le Japon nous emprunte nos arts mécaniques, notre art militaire, nos sciences, nous lui prenons ses arts décoratifs ». Cette phrase, qui n’était que descriptive à l’époque, semble bien résumer la vision des Européens, qui allaient jusqu’à regretter l’industrialisation du Japon pour des raisons esthétiques, comme on l’a vu avec Régamay. Ainsi, on comprend bien que même aujourd’hui, le Japon évoque en premier lieu les geishas, symboles des quartiers dépeints par l’ukiyo-e ou les samurai.

                  De plus, comme cette production française a envahi la France en même temps que la production japonaise, on peut supposer que ces deux esthétiques se sont en quelque sorte superposées dans la mémoire collective française. Ainsi, le vase de Lachenal parait sans doute très japonais pour un Français, de même qu’une stagiaire japonaise au Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux a récemment décrété que le service dit « japonais » ne faisait pas du tout japonais. Ainsi, l’art japonais semble mal connu en France, justement à cause de cette vulgarisation et de ce détournement de l’esthétique japonaise tout en gardant l’étiquette japonisante. Ce n’est donc pas tant la reprise des motifs qui peut être blâmée, mais l’inscription de celle-ci dans un goût volontairement exotique et qui se réclame du pays dont elle est tirée, réduisant ainsi ce pays à cette simple esthétique, si ce n’est au détournement même de cette esthétique.

     

    Conclusion.

              Nous venons d’étudier quelques exemples d’Orientalisme en art au XIXème siècle. Ce court catalogue ne saurait être exhaustif. Nous avons cependant réussi à dégager des problématiques communes à ces différents exemples. Tout d’abord, nous avons démontrer qu’il faut séparer la création purement artistique et le discours que cette création génère. En ceci, nous rejoignons parfaitement Said, qui écrivait : « Je me sépare de Michel Foucault sur ce point : je crois en l’influence déterminante d’écrivains individuels sur le corpus de textes ». Dans L’Orientalisme, il montre l’apport particulier de chaque auteur – rappelons qu’il traite de littérature – à la construction « qui tient lieu d’Orient et s’en tient à distance » et aboutit à un « filet de racisme, de stéréotypes culturels, d’impérialisme politique et d’idéologie déshumanisante qui entoure l’Arabe ou le musulman ». Comme nous l’avons vu, l’addition des univers personnels de chaque peintre orientaliste amène à une réduction du Proche et du Moyen-Orient à un univers de femmes sensuelles dans des écrins de luxe coloré. Dans L’académisme et ses fantasmes, Michel Thévoz dit que L’Orientalisme « a orientalisé [l’Orient] selon les modèles romanesques fantasmés à Paris ». De même, l’extraction de thèmes japonais hors de leur contexte conduit les Européens à avoir une vision réductrice voire fausse de l’esthétique japonaise. Ainsi, comme le dit Said, un des problèmes de l’Orientalisme est qu’il est un discours, qu’il soit littéraire ou pictural.

    Enfin, si l’on reprend la théorie de l’universalisme européen d’Immanuel Wallerstein, on peut voir que dans cette étude même, nous avons montré comment, par exemple, des artistes orientalistes ont mêlé l’Antiquité gréco-romaine à l’Orient dans leurs représentations, comme s’ils cherchaient des valeurs universelles unissant leur propre passé et le présent de cet ailleurs, héritier des « grandes civilisations » (Chine, Inde, Perse, Empire ottoman), justifiant ainsi une domination sur ces peuples qui n’avaient pas su évoluer depuis ce temps, autrement dit, n’ayant pas su créer la « modernité » « incarnant par définition les valeurs universelles véritables » – même si paradoxalement, c’est dans l’art japonais que les artistes européens ont trouvé une partie des racines de la modernité européenne en art ; cependant, le Japon ne figure pas parmi les « grandes civilisations » qu’il cite.

     

    Bibliographie.

    * Ouvrages de référence :

    - Encyclopaedia Universalis :

    -         AUBRY Françoise, « Art nouveau »

    -         CHEMLA Paul, « Said Edward W. (1935-2003)”

    -         JOBERT Barthélémy, « Delacroix Eugène (1798-1863) »

    -         LACAMBRE Jean, « Ingres Jean Auguste Dominique (1780-1867) »

    - PELTRE Christine, Dictionnaire culturel de l’orientalisme, Paris, Hazan, 2003

    -         « George Gordon Byron »

    -         « Eugène Delacroix »

    -         « Femme »

    -         « Jean Auguste Dominique Ingres »

    -         « Edward Said »

     

    * Ouvrages :

    - BOUDJEDRA Rachid, Peindre l’Orient, Mayenne, Impr. Floch, 1996

    - DU PASQUIER Jacqueline, Céramiques bordelaises du XIXème siècle, Bordeaux, Musée des Arts Décoratifs, 1975

    - DU PASQUIER Jacqueline, « Japonisme », in GRUBER Alain dir., L’art décoratif en Europe : du néoclassicisme à l’Art Déco, Paris, Citadelles & Mazenod, 1994

    - DU PASQUIER Jacqueline, J. Vieillard & Cie : Histoire de la faïence fine à Bordeaux, de l’Anglomanie au rêve orientaliste, Bordeaux, Mollat, 2002

    - MITSUNOBU Satô, « Histoire de l’ukiyo-e », in FAHR-BECKER Gabriele, BERTHOLD Annie, L’estampe japonaise, Paris, Taschen, 1994

    - MACOUIN Francis, OMOTO Keiko, Quand le Japon s’ouvrit au monde, Paris, Gallimard, 1990

    - PELTRE Christine, Les orientalistes, Paris, Hazan, 2003

    - PELTRE Christine, Orientalisme, Paris, Terrail, 2004

    - WALLERSTEIN Immanuel, L’universalisme européen, de la colonisation au droit d’ingérence, Paris, Editions Demopolis, 2006

    - WICHMANN Siegfried, Japonisme, Paris, Chêne/Hachette, 1982

     

    * Catalogues d’exosition :

    - Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles, Estampes japonaises, collections des Musées royaux d'art et d'histoire, Bruxelles : Ukiyoe hanga : [exposition présentée au Palais des Beaux-Arts de Charleroi du 28 septembre au 10 décembre 1989],

    - DU PASQUIER Jacqueline, J. Vieillard & Cie :Eclectisme et japonisme (catalogue de l’exposition Vieillard à Bordeaux), Bordeaux, Musée des Arts Décoratifs, 1986

    - YAMASHITA Hiroyuki, SHIMIZU Christine, Satsuma : de l’exotisme au japonisme (catalogue de l’exposition éponyme organisée par le musée national de Céramique, à Sèvres, du 20 novembre 2007 au 18 février 2008), Paris, Editions de la réunion des musées nationaux, 2007 : PREVET Alain, Le Japon et les Expositions universelles parisiennes du XIXème siècle : essor, splendeur et métamorphose du goût pour les objets japonais ; notices d’œuvres.

     


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