• Porte vitrée, lampe et clair de lune

    ガラス戸の   

    外のつきよをながむれど

    ランプのかげの

    うつりて見えず             (正岡子規)

     

    Bien que j'essaie de contempler 

    La nuit de clair de lune

    A travers la porte vitrée

    La lampe s'y reflète

    Et je ne vois rien                     (Masaoka Shiki - 1867-1902)

     

    "garasu-do no / soto no tsukiyo o nagamuredo / ranpu no kage no / utsurite miezu"

     

    Note : Bien que ce poème soit ici reproduit sur 4 lignes (tel que je l'ai trouvé sur internet), la métrique 5-7-5-7-7 du waka est conservée dans le rythme. La césure supplémentaire vient entre "soto no tsukiyo o" et "nagamuredo".

     

    A propos du poème :

    J'ai choisi ce poème car il illustre encore une fois mes articles précédents (Les kanjis : informations générales et La flexibilité du système d'écriture japonais) sur le système d'écriture japonais très flexible. J'ai trouvé ce poème transcrit exactement de la sorte sur plusieurs sites internet, alors que certaines versions introduisaient plus de kanjis. Principalement :

    - 月夜 pour つきよ

    - 影 pour かげ

    Mais on pourrait ajouter :

    - 眺むれど pour ながむれど

    - 映りて pour うつりて

    Et ajoutons que ガラス se transcrivait à l'origine (à l'introduction du mot) avec les kanjis 硝子.

    Je ne peux pas être certaine que la transcription que j'ai choisie est celle choisie par l'auteur, mais en tout cas, elle est correcte.

    De plus, je trouve ce poème et la période à laquelle il a été écrit très intéressants.

    Il s'agit de l'époque Meiji (1868-1912), époque où le Japon, par peur d'être colonisé comme ses voisins asiatiques par les "Occidentaux" décide de devenir une puissance "occidentale" à son tour. Le pays introduit donc massivement la culture occidentale, d'où deux mots écrits en katakana dans le poème : ガラス "garasu" issu de l'anglais "glass" (et qui est, notons le, le premier mot du poème) et ランプ "ranpu" qui viendrait de l'hollandais, et signifie "lampe". La modernité a donc infiltré ce poème, malgré une langue qui garde des airs anciens. Le verbe ながむる "nagamuru" est la forme ancienne du verbe moderne ながめる "nagameru", et うつりて "utsurite" la version ancienne de うつって "utsutte".

    D'ailleurs, la porte vitrée est une importation occidentale. Les portes et fenêtres traditionnelles japonaises sont en bois et en papier. Et c'est cet élément, le premier du poème, qui est l'élément déclencheur de celui-ci. Dans une maison traditionnelle, il est impossible de contempler le clair de lune depuis une pièce fermée (un shôji aux parois en papier). La porte fenêtre, grâce au verre translucide, le permet, mais le verre est aussi une matière réfléchissante et il reflète donc la lampe. Il est donc également impossible de contempler le clair de lune à travers la porte vitrée. Alors que la porte fenêtre occidentale semble être une solution pratique pour voir à l'extérieur sans ouvrir la fenêtre, finalement, elle pose aussi son lot de problème. Quand une lumière est allumée à l'intérieur, il est impossible de voir à l'extérieur à travers du verre puisque le verre reflète la lumière de la pièce. La seule solution, dans les deux cas, est donc sans doute d'ouvrir la fenêtre...

    Ce poème reflète donc l'introduction de la modernité occidentale dans le Japon de l'ère Meiji, et la façon dont ces objets ont peu à peu trouvé leur place dans le quotidien des Japonais, mais sans pour autant ne pas apporter quelques problèmes ou interrogations. 

    Il est d'ailleurs intéressant de constater que le poète est né à la veille du début de l'ère Meiji.

    J'avais traité le thème de la modernité dans le Japon de Meiji dans mon premier haiku, mais dans ce dernier, la confrontation n'engendrait pas un nouveau problème mais simplement un nouveau paysage, et la modernité n'était pas symbolisée par l'emploi de katakana mais au contraire, par un emploi systématique de kanjis plus ou moins complexes.

     

    Notes grammaticales : 
    - le verbe ながむる "nagamuru" est à la forme Izen (已然形 / IZK) ながむれ "nagamure" pour y accrocher l'élément ど "do", car en japonais ancien, IZK+ど = ~ても "te mo" ("bien que") / ~けれども "keredo mo" en japonais moderne. (Je ferai un article sur les règles de bases du japonais ancien plus tard)

    - 見えず "miezu" correspond au japonais moderne 見えない "mienai". Il est construit avec la forme Mizen (未然形 / MZK) auquel s'accroche l'auxiliaire ず "zu" de la négation.

    - le の "no" qui suit かげ "kage" est une particule de sujet qui peut remplacer la particule が "ga" lorsque la proposition est très courte.

     

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